Beccarelli, Marine, Micros de nuit. Histoire de la radio nocturne en France, 1945-2012 éditions PUR, septembre 2021. 

Historienne de formation, Marine Beccarelli vient de publier un ouvrage consacré aux programmes radio diffusés la nuit en France entre 1945 et 2012.  Cet ouvrage, issu de sa thèse, vient compléter un précédent ouvrage, intitulé Les nuits au bout des ondes, paru en 2014 et qui a été décliné l’an passé sous la forme d’une fiction sonore produite par l’INA.  

Dans cet ouvrage, Marine Beccarelli  définit son objet d’étude comme l’ensemble des programmes radiophoniques diffusés entre 23h00 et 5h00 du matin. Le corpus s’étend de 1945 – où la radiodiffusion française passe sous le monopole de l’Etat à la fin de la seconde guerre mondiale, jusqu’en 2012 – lorsque France Inter met un terme à ses « nuits en direct », « alors qu’elle restait la dernière station à proposer une présence humaine, ininterrompue au micro » (p. 22). Bien que le corpus se concentre exclusivement sur les radios émettant depuis l’Hexagone, certains programmes analysés sont inspirés des modèles de programmes diffusés à l’étranger et leur réception dépasse largement les frontières françaises. Pour construire son corpus, l’auteure a puisé dans les archives sonores, toutefois celles-ci se sont révélées incomplètes, et ont nécessité d’être enrichies par des sources écrites et des entretiens avec des producteurs.  

Le travail de recherche de Marine Beccarelli répond à deux hypothèses principales : la radio nocturne constitue-t-elle réellement un espace de liberté comme cela lui est couramment associée ? (1) La radio nocturne constitue-telle un lieu de l’intime, l’espace temporel radiophonique où l’auditeur a le plus sa place ? (2). Au cours de l’analyse de la trajectoire historique des programmes de nuit, l’auteure distingue trois périodes : la première s’étend de 1945 à 1975 et correspond aux prémices de la radio de nuit ; la deuxième période s’étend sur une décennie de 1975 à 1985, elle est décrite par l’auteure comme l’ « âge d’or » de la radio de nuit où la parole à l’auditeur.trice est privilégiée. Enfin la dernière période, de 1985 à 2012, est décrite comme celle du déclin progressif des programmes de nuit. 

En tant que lecteur.trice depuis la Belgique francophone, on pourrait s’interroger sur l’intérêt d’une telle lecture au regard des spécificités que recouvrent le cadre historique, culturel et médiatique français différent en bien des points de celui de la radio en Belgique francophone. Or, il n’en est rien, la lecture de l’ouvrage de Marine Beccarelli est en bien des points éclairante pour qui se questionne sur l’évolution des genres radiophoniques en lien avec les transformations sociétales. La spécificité des programmes radiophoniques nocturnes transcende par ailleurs les frontières. Les programmes de nuit viennent questionner l’intime et l’imaginaire. Au-delà d’une analyse diachronique des programmes radiophoniques, l’auteure nous invite à explorer la spécificité de ces programmes à travers le profil de ceux et celles qui la font : les animateur.trice.s d’une part, les auditeur.trice.s d’autre part. Elle analyse avec finesse ce qui se dit, s’échange d’universel et de particulier entre les deux parties. L’analyse des programmes de libre antenne est particulièrement éclairante à cet égard en ce qu’ils constituent un dispositif d’aide et de soutien à la solitude, de confession, permettant d’aborder des sujets tabous. Les programmes de nuit deviennent alors une chambre d’écho des questionnements qui traversent la société. A cet égard, l’auteure propose une étude fouillée de l’émission diffusée sur France Inter, « Allo Macha », analysant successivement le cadre de l’émission, la question du filtre au standard, les appels et les profils des auditeur.trices et la constitution de la communauté d’auditeur.trice.s. Ces programmes sont également un lieu d’expression privilégié des travailleur.euse.s de nuit et viennent déconstruire bon nombre de stéréotypes apposés sur les professionnel.le.s de la nuit parmi lesquels un espace temporel incarnés par « du malsain et des paumés » (p.230), et qui dont l’activité professionnelle serait exclusivement aux mains des hommes. Si les programmes radiophoniques de nuit constituent un espace de transgression et de questionnement des normes sociétales et de libération de la parole, ils constituent également des espaces d’expérimentation en matière de création radiophonique. A partir du milieu des années 80, l’auteure note un recul progressif des programmes radios nocturnes spécifiques et diffusés en direct. Elle l’explique notamment par la concurrence des programmes télévisuels nocturnes mais aussi par l’environnement hyperconcurrentiel dans lequel s’inscrivent désormais les acteurs radiophoniques français. La recherche d’économies de coûts de la part des dirigeants impacte en premier lieu les programmes diffusés la nuit. Toutefois, les années quatre-vingt-dix sont également le cadre du déploiement d’un nouveau type de programmes : les émissions de libre-antenne nocturnes dédiées aux adolescent.e.s. Ce qui distingue ces émissions de libre antenne de leurs prédécesseuses : la cible (les adolescent.e.s) et le ton employé.  

Bien plus qu’une analyse diachronique des programmes radios diffusés en France durant la nuit, l’ouvrage de Marine Beccarelli constitue un apport conséquent sur un objet médiatique encore peu étudié.  La richesse et la plus-value de son analyse réside notamment dans son approche transversale de ces programmes, où le contexte politique, économique et médiatique, les profils des animateur.trices et des auditeur.trice.s, le dispositif des émissions sont analysés conjointement. Sans sacrifier à la rigueur d’une recherche doctorale, l’auteure nous convie à explorer les spécificités de ces programmes nocturnes, ce qu’ils disent des relations humaines, de la radio à la fois comme médiateur de celles-ci et caisse de résonnance des transformations de la société. 

Camille Laville, Conseillère

Conseil supérieur de l’audiovisuel

Juin 2022