Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel remet son évaluation du déroulement de la campagne pour les élections communales et provinciales du 14 octobre 2018 sur les services de médias audiovisuels de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

 

Ce rapport évalue la manière dont les médias ont appliqué le « Règlement élections » concernant le scrutin du 14 octobre 2018. Il liste les différents constats et points d’amélioration, notamment concernant les nouveautés du Règlement :
–      Présence des « petites listes » : de manière générale, les radios et télévisions – en particulier les télévisions locales – ont ouvert leurs débats à de plus petites listes. Les télévisions locales se sont appliquées à faire venir un maximum des listes tandis que certains éditeurs à la couverture plus large ont eu des difficultés à systématiquement intégrer les plus petits partis.
–      Egalité entre les femmes et les hommes : on constate une réelle amélioration au niveau de la visibilité des femmes dans la politique, même si le résultat n’est pas entièrement acquis.
–      Accessibilité des programmes : très peu d’éditeurs ont prévu un dispositif spécifique pour rendre une partie de leurs programmes accessible aux personnes sourdes et malentendantes.
Le bilan du Secrétariat d’instruction est également abordé dans ce dossier avec une augmentation des plaintes concernant la médiatisation du scrutin, 69 plaintes pour 23 dossiers ouverts.
Un focus est aussi consacré au « cordon sanitaire médiatique » vu l’obligation légale pour les médias audiovisuels de le respecter durant la période électorale. Quatre dossiers impliquant cet enjeu ont été classés sans suite par le Secrétariat d’instruction.
Les différents résultats de cette évaluation post élections devraient servir de socle de réflexion pour les éditeurs en vue des préparatifs du prochain scrutin de mai 2019 et permettront ensuite d’évaluer le Règlement élections sur la base des couvertures des 2 campagnes.

 

Contexte et objectifs de l’évaluation du CSA

 

Depuis l’adoption du règlement du Collège d’avis du Conseil supérieur de l’audiovisuel du 29 novembre 2011 relatif aux programmes de radio et de télévision en période électorale, la couverture des campagnes électorales dans les médias est légalement encadrée. Les règlements du Collège d’avis ayant trait à cette matière sont désormais adoptés par le gouvernement de la Fédération Wallonie Bruxelles sous forme d’arrêtés et revêtent donc un caractère obligatoire.

À partir du mois de septembre 2017, le Collège d’avis[1] du CSA s’est réuni à plusieurs reprises pour évaluer le règlement du 29 novembre 2011 et le modifier en fonction des constats réalisés lors des campagnes précédentes. Les travaux se sont conclus sur un nouveau règlement, adopté par le Collège d’avis le 23 janvier 2018 puis approuvé par un arrêté du Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le 31 janvier 2018[2].

Le règlement « élections » du CSA intègre désormais la représentation équilibrée femmes-hommes, l’accessibilité des programmes et une meilleure visibilité des petits partis dans ses obligations. Les dispositions du règlement s’appliquent par ailleurs pour la première fois durant la période électorale à la production des contenus audiovisuels diffusés sur les réseaux sociaux.

Le suivi du CSA se déroule avant et après le scrutin. Avant le scrutin, le CSA est chargé de l’information sur le règlement élections et a un rôle d’accompagnement pour toute question relative à sa mise en œuvre. Cet accompagnement fut mis en œuvre dès l’adoption du nouveau Règlement.  Après le scrutin, le régulateur rend son évaluation de la couverture avec un double objectif : d’une part informer les éditeurs des constats réalisés en matière d’application du règlement « élections » en vue des élections régionales, fédérales et européennes de 2019 et, d’autre part, préparer la prochaine évaluation du règlement du 23 janvier 2018 en prévision des élections ultérieures (article 25).

 

Points d’intérêt et méthodologie

 

Compte tenu de ses ressources et du court laps de temps entre les campagnes d’octobre 2018 et de mai 2019, le CSA a été amené à centrer son évaluation sur certains axes. Il a ainsi choisi d’examiner la situation des « nouveaux entrants » dans le champ d’application du règlement élections : les WebTV, comme services, et les réseaux sociaux, comme plateformes de distribution et de monitorer l’application des nouveautés du règlement élections.

L’évaluation a reposé sur trois axes :

  • Les choix éditoriaux exprimés dans les dispositifs électoraux ont été répertoriés ;
  • Un monitoring a été réalisé sur les différents médias ayant traité des élections, afin d’étudier la manière dont ont été mises en œuvre la visibilité des « petites listes » et la représentation des hommes et des femmes dans les programmes électoraux, ainsi que l’accessibilité des programmes aux personnes sourdes et malentendantes.
  • Les plaintes constituent également un indicateur important de la manière dont s’est déroulée la campagne.

Méthodologiquement, les différents programmes relatifs aux élections ont été identifiés pour chaque éditeur. Ils ont pu être divisés en quatre catégories : les reportages, les « face-à-face », les tribunes et les débats. Lorsque ces programmes ciblaient une commune en particulier, les listes couvertes ont été comparées à l’ensemble des listes de ladite commune, ceci afin de déterminer si les « petites listes » étaient présentées, et selon quelles modalités. Les différents participants ont ensuite été identifiés et le nombre d’hommes et de femmes a été compté. Enfin, les différents moyens mis en place pour assurer l’accessibilité aux personnes sourdes et malentendantes ont été répertoriés.

Le monitoring a été réalisé à l’issue de la période électorale (novembre et décembre) sur base des programmes identifiables et disponibles à ce moment, ce qui a pu réduire potentiellement son exhaustivité. Il a cependant été réalisé de manière tout-à-fait systématique. La supervision des émissions sur les réseaux sociaux a été réalisée de manière plus aléatoire durant la campagne-même.

 

Les constats de l’évaluation à la suite du scrutin 2018

 

Les différents modes de contrôle utilisés (monitoring aléatoire durant la campagne, monitoring systématisé après la campagne, analyse des dispositifs électoraux et traitement des plaintes par le SI) ont permis de mettre en évidence différents constats et questionnements.

 

Concernant les réseaux sociaux : bonne mise en route

 

Aucune difficulté n’a été identifiée concernant l’intégration progressive des réseaux sociaux dans le champ d’application du règlement « élections ».  Si certaines plaintes du public ont concerné des programmes diffusés sur ceux-ci, ces plaintes ne questionnaient pas le mode de distribution de ces programmes. Par ailleurs, aucun éditeur n’a été amené à contester l’application du règlement à ces plateformes.

 

Concernant les « petites listes » : plus de visibilité chez les éditeurs locaux

 

Dans l’ensemble, les radios et télévisions ont effectivement ouvert leurs débats à davantage de « petites listes ».

Les télévisions locales ont particulièrement œuvré à la mise en avant d’un maximum de listes. Ainsi, à quelques exceptions près, les TV locales ont invité des représentant.e.s des nouvelles listes sur leurs plateaux. Le bilan très positif de la présence des « petites listes » dans la programmation des TVL est à souligner.

Ce constat positif concerne majoritairement des communes comptant peu de listes, et par conséquent les éditeurs locaux couvrant ces communes. Dans les communes rassemblant beaucoup de listes, les partis « traditionnels » sont presque toujours mis en avant dans les débats, au détriment des petites et nouvelles listes. La plupart des éditeurs ont alors imaginé d’autres dispositifs pour évoquer ces listes[3].

Même si un réel effort peut être constaté dans la présence des petites listes aux débats, des éditeurs dont la couverture est plus élargie ont eu plus de difficultés à intégrer systématiquement les plus petits partis.

Cette tendance doit être confirmée en 2019, le déficit de représentation des petites listes ayant surtout été mis en évidence lors des élections régionales, fédérales et européennes de 2014.

 

Concernant l’égalité de genre : une amélioration à poursuivre

 

Même si l’égalité parfaite entre les hommes et les femmes est loin d’être atteinte, on constate une certaine féminisation des programmes concernant les élections. L’on peut établir une distinction entre les éditeurs ayant priorisé cette égalité et les autres.

Par exemple, certains éditeurs ont obligé les listes à inviter autant de candidats que de candidates sur le plateau, quitte à séparer le débat en plusieurs parties, afin d’avoir une parfaite égalité. D’un autre côté, une partie des éditeurs ont préféré favoriser la présence personnalités connues, ce qui pouvait entraîner la diffusion de plateaux (presque) exclusivement masculins.

Au final, même si le résultat n’est pas entièrement acquis, on constate une réelle amélioration au niveau de la visibilité des femmes dans la politique.

 

Concernant l’accessibilité des programmes : vraiment trop peu d’initiatives

 

Très peu d’éditeurs ont prévu un dispositif spécifique pour rendre une partie de leurs programmes accessibles aux personnes sourdes et malentendantes.

La RTBF, grâce à sa chaîne « La Trois », a pu diffuser certains reportages du journal télévisé traduits en langue des signes. Cependant, aucun des débats organisés par la RTBF – ou leur résumé – n’a été traduit ou sous-titré.

RTL non plus n’a pas pris de mesures spécifiques pour assurer l’accessibilité de ses programmes.

 

Concernant l’interprétation des critères de participation aux débats : garantir une visibilité

 

Si l’on peut concevoir que sous un certain seuil de représentativité, les nouvelles listes présentent un intérêt moindre, l’application de critères trop restrictifs aboutissant à ne pas compléter les débats par la participation de listes moins représentatives n’est cependant pas conforme à l’objectif visé par le règlement consistant à ouvrir les débats à un maximum de listes démocratiques.

 

Une solution adoptée par certains éditeurs consiste à appliquer des critères successifs évoluant vers une moindre représentativité[4] mais n’allant pas par exemple jusqu’à inclure des listes qui comptent un nombre très restreint de candidats. L’objectif est donc d’associer, dans les débats, de nouvelles listes aux partis les plus représentatifs au niveau des assemblées, tout en s’assurant de maintenir un certain degré de représentativité.

Dans tous les cas, les listes n’ayant pas eu accès aux débats doivent bénéficier d’une certaine visibilité garantie par l’article 13 du règlement.

 

Concernant la mise en œuvre de l’équilibre : tenir compte du niveau de l’élection

 

Certaines plaintes et constats ont mis en évidence une pratique susceptible de rompre l’équilibre entre les tendances au niveau de l’élection.

Ainsi que l’a déterminé la décision du Collège du 31 janvier 2013, la façon d’apprécier l’équilibre dans l’ensemble des programmes et sur l’ensemble de la période électorale doit prendre en considération le niveau de l’élection : l’action d’un parti dans une commune n’est pas nécessairement identique à celle du même parti dans une autre commune. Dans le cadre d’élections communales, l’équilibre doit donc se mesurer dans le contexte de chaque commune.

 

Concernant les dispositifs électoraux : un contrôle renforcé

 

Malgré l’expérience passée de deux campagnes électorales et une information précise du CSA adressée à chacun, un certain nombre d’éditeurs n’ont pas élaboré ou communiqué leur dispositif électoral pour le début de la période électorale, comme le prévoit le règlement élections. A l’entame de la campagne pour les élections de 2019, chaque éditeur devrait donc préciser s’il couvre ou non la campagne et, le cas échéant, communiquer son dispositif[5]. Dans une optique de simplification administrative, le CSA propose que les éditeurs qui ne couvrent pas la campagne – y compris dans leurs programmes d’information ! – soient dispensés de la rédaction d’un dispositif électoral.

Le CSA propose également d’adresser à chaque éditeur un courriel précisant les obligations qu’il doit remplir en fonction de son degré d’implication dans la couverture électorale. L’éditeur devrait en accuser réception, spécifier son degré d’implication et confirmer qu’il est informé de ses obligations. Le contrôle du CSA pourrait donc être renforcé sur ce point.

Le CSA reste disponible durant la campagne pour répondre aux questions concernant l’interprétation à donner à certains articles et la meilleure façon de les mettre en œuvre, dans le respect de la liberté éditoriale. Un guide pratique a été édité pour accompagner les éditeurs lors du dernier scrutin.

 

Concernant les plaintes : une augmentation des dossiers

 

Pendant la période électorale courant du 14 juillet au 14 octobre 2018, le Secrétariat d’instruction du CSA a reçu 69 plaintes, pour un total de 23 dossiers ouverts. Un nombre de plaintes en augmentation par rapport aux précédents scrutins (13 dossiers ouverts en 2012), qui s’explique notamment par les plaintes multiples (nombreuses plaintes portant sur un même dossier).

 

Les dossiers concernaient les sujets suivants :

– L’équilibre et la représentativité des tendances politiques dans la programmation globale (article 4) et les émissions d’information (article 10) : 7

– L’organisation des débats électoraux (article 12) et la visibilité des petites listes (article 13) : 8

– Le cordon sanitaire médiatique (article 14) : 5

– La présence d’animateur candidat (article 22) : 1

– L’interdiction de diffusion de sondages, simulation de vote ou consultation à partir du vendredi précédant le scrutin à minuit (article 21) : 1

– L’accessibilité des programmes électoraux aux personnes avec des déficiences sensorielles (art.20) : 1

 

Les plaintes ayant fait l’objet d’un rapport d’instruction présenté au Collège n’ont pas encore abouti à des décisions. Deux dossiers ont donné lieu à des notifications de griefs. Les décisions seront communiquées dans les prochaines semaines.

 

Le « Cordon sanitaire médiatique » 

 

Pendant la période électorale[6], le « cordon sanitaire médiatique » devient une obligation légale pour les médias audiovisuels (article 14 du règlement élections).

 

Le cordon sanitaire concerne l’interdiction de donner l’accès aux débats électoraux, aux tribunes électorales ou tout autre accès en direct à des partis non démocratiques, prônant ou ayant prôné des doctrines ou des messages incitant à la discrimination, à la haine ou à la violence ou encore niant toute forme de génocide. Cette règle ne signifie en aucun cas que les médias ne peuvent pas parler des partis d’extrême droite ou y consacrer des reportages dans leurs programmes. En d’autres termes, le règlement élections laisse la faculté aux éditeurs de traiter des partis relevant de l’article 14, mais ne les y oblige pas.

 

Durant les périodes électorales de 2012 et de 2014, le CSA n’avait pas été saisi de plaintes portant sur le cordon sanitaire médiatique. Il n’avait pas non plus constaté d’infraction à l’article 14 dans le cadre de ses monitorings. Au vu de l’ouverture de débats électoraux à plus de participant.e.s et de la présence de plusieurs listes posant éventuellement question au regard du « cordon sanitaire médiatique », cette question est devenue une préoccupation importante des publics et des partis au cours du scrutin 2018.

 

Plaintes concernant La Droite et le Parti Populaire

 

Le Secrétariat d’instruction du CSA (SI) a ainsi été saisi de plaintes concernant la couverture médiatique de partis pouvant poser question au regard du cordon sanitaire : La Droite et le Parti Populaire.

 

Après ouverture de quatre dossiers d’instruction, le SI a prononcé quatre décisions de classement sans suite sur la base de l’article 14, dont on peut retirer les principes suivants :

  • La qualification des partis politiques au regard de l’article 14 relève de la responsabilité des éditeurs, qui disposent d’un pouvoir d’appréciation. Comme précisé à l’article 15 du règlement élections, ils sont invités à consulter les institutions compétentes dans ce cadre, telles qu’UNIA ou le CRISP.
  • Le rôle de contrôle du CSA consiste ensuite à vérifier, au cas par cas, que les éditeurs ont exercé leur pouvoir d’appréciation avec prudence, en se fondant sur des motifs objectifs et raisonnables, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation[7].
  • Le SI a interrogé les éditeurs afin de savoir sur la base de quels éléments ceux-ci avaient décidé, ou non, d’inviter ces partis à leurs débats ou de les intégrer à leur dispositif électoral. Les éditeurs ont transmis les éléments d’analyse sur lesquels ils s’étaient fondés pour fixer leurs choix éditoriaux au regard de l’article 14. Le SI a également consulté UNIA et le CRISP.

 

Le SI a constaté l’absence de consensus clair en ce qui concerne la qualification du Parti Populaire. Cette qualification évolue nécessairement avec le temps, les campagnes électorales et les propos tenus lors de celles-ci. Les observateurs notent néanmoins une évolution récente dans les discours et les programmes du Parti Populaire, notamment dans le cadre de la campagne 2018 (« Nos citoyens d’abord »).

 

Un éditeur a choisi d’accorder la parole au Parti Populaire, tandis qu’un autre éditeur a décidé de ne pas convier ce parti dans ses débats électoraux. Le SI a constaté que dans les deux cas, ce choix éditorial était basé sur des motifs objectifs et raisonnables et n’induisait pas d’erreur manifeste d’appréciation.

 

En ce qui concerne l’éditeur ayant donné la parole à cette tendance politique, le SI a également évalué la situation en tenant compte des précautions prises par l’éditeur pour s’assurer qu’aucun propos potentiellement attentatoire ne soit tenu sur ses antennes et pour veiller à la bonne tenue des débats : enregistrement des débats dans les conditions du direct la veille de leur diffusion, consignes aux animateurs des débats, présence du rédacteur en chef et du directeur général, mise en place d’une commission pluraliste…

 

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[1] Le Collège d’avis est un organe de quasi co-régulation composé de 30 professionnels issus des différents secteurs de l’audiovisuel (éditeurs et distributeurs de services de radio et de télévision, opérateurs de réseaux, cinéma, sociétés d’auteurs, producteurs, régies publicitaires, annonceurs, associations de consommateurs, sociétés de presse, journalistes…).

[2] http://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/44965_000.pdf

[3] Tribunes, face à face, reportages…

[4] Liste incomplète et sans élus mais s’étant déjà présentée lors de scrutins précédents, par exemple

[5] Il ressort par ailleurs de certains échanges avec des éditeurs (Gold fm, BX1) que les manquements constatés dans leur dispositif ou sa mise en œuvre découlent d’un manque d’attention de leur part envers les courriers du CSA.

 

[6] Les trois mois précédant chaque scrutin.

[7] Voy. Arrêt du Conseil d’Etat n°80.787 du 9 juin 1999. Le Conseil a estimé que la RTBF n’était pas obligée de diffuser, en période électorale, la tribune d’un parti après avoir exercé son pouvoir discrétionnaire concluant au caractère non démocratique de celui-ci