Ce deuxième volet du Baromètre Diversité et Égalité du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) est consacré à la représentation des femmes et des hommes dans la communication commerciale dans les services télévisuels de la Fédération Wallonie-Bruxelles.  

Depuis 2016 le Décret coordonné sur les services des médias audiovisuels prévoit que le CSA participe à la réalisation d’une analyse périodique relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes dans le paysage audiovisuel belge francophone. Une première analyse de l’état de cette représentation dans la communication commerciale a été initiée par le CSA en 2017 dans le cadre du Baromètre Diversité et Égalité.

Répartis sur 3 jours, 2756 spots publicitaires et plus de 17 heures de contenu ont été visionnés. 588 communications commerciales (hors rediffusions) ont été encodées. Cela représente un total de 1723 intervenant.e.s.

 

La communication commerciale dans les services télévisuels actifs en Fédération Wallonie-Bruxelles a été étudiée au départ d’un échantillon de trois dates, réparties entre mi-février et mi-mars 2017. Ces dates relèvent de temporalités différentes, « marquées » ou non en termes de genre.

  • Temporalité « marquée » en termes de genre : 14 février, jour de la Saint Valentin ;
  • Temporalité « neutre », n’étant pas susceptible d’influencer la représentation des genres (*dates sélectionnées aléatoirement) : un jour de semaine (le mercredi 1er mars) et jour de week-end (le samedi 18 mars).

La recherche :

  • Porte sur les publicités et spots de télé-achat diffusés aux heures de grande audience, soit en access prime time et en prime time – la tranche 18 à 22 heures;
  • Représente un total de 1723 intervenant.e.s ;
  • Concerne 22 chaînes des éditeurs de services télévisuels actifs en Fédération Wallonie-Bruxelles : La Une (RTBF), La Deux (RTBF), La Trois (RTBF), RTL TVi, Plug RTL, Club RTL, AB3, AB4, Canal Z, Be1, Antenne Centre, Télé Mons-Borinage, Télésambre, notélé, Canal C, Canal Zoom, TV Com, MaTélé, TV Lux, Télévesdre, RTC Télé-Liège et BX1.

Répartitions des publicités :

  • 59% de publicités nationales (27%) et régionales (32%)
  • 41% de publicités internationales.

 La grille d’analyse permet de refléter au mieux les spécificités télévisuelles car « la publicité à la télévision n’utilise pas forcément les mêmes codes que celle de la presse magazine » explique Émilie Herbert, chargée de recherches au CSA. L’enjeu de cette méthodologie était également de « trouver des temporalités plus ou moins marquées en termes de genre et qui puissent refléter avec justesse les publicités quotidiennes ».

Question de recherche

 

Les rôles assignés¹ aux personnages de la communication commerciale sont-ils différents selon qu’il s’agit d’hommes ou de femmes ? Dès lors, existe-t-il des stéréotypes de genre voire des contre-stéréotypes ou des anti-stéréotypes² ?

Représentation des personnages 

 

Chaque personnage a été étudié selon plusieurs composants :

  • Les attributs constitutifs de son identité dans le récit : genre, catégorie d’âge, état civil, maternité/paternité, catégorie socio-professionnelle, origine perçue, espaces de référence, style vestimentaire ;
  • Ses occupations/actions dans le récit ;
  • La représentation de son corps: morphologie, postures, éventuelle présence de marqueurs de « sexualisation » du corps féminin ou masculin ;
  • Le langage utilisé (champ lexicaux, présence d’actes humoristiques…) ;
  • Les stéréotypes, contre-stéréotypes ou anti-stéréotypes de genre. Le contre-stéréotype prend le contrepied du stéréotype (c’est une représentation inversée) ; l’anti-stéréotype met en discussion le stéréotype.

Résultats de l’étude

 

Sur un nombre total de 1723 intervenant.e.s individuel.le.s, 52,58% sont des hommes et 47,42% sont des femmes. D’un point de vue quantitatif, bien que l’on se rapproche de la parité, les femmes sont donc légèrement sous-représentées par rapport à la réalité sociale (au 1er janvier 2017, celles-ci composaient près de 51% de la population belge).

Cependant, ce sont avant tout les différences qualitatives entre les femmes et les hommes que l’étude met en exergue.

 

  1. Des « types de produits » traditionnellement associés au masculin et au féminin

Les femmes sont plus souvent présentes que les hommes dans des publicités pour des produits de soin et de beauté, de mode, pharmaceutiques et parapharmaceutiques ou encore ménagers. Les hommes apparaissent davantage dans les publicités de transport, de produits informatiques ou de promotion événementielle.

  • Publicité pour des produits de soin et de beauté : 66% de femmes VS 34% d’hommes (nombre total d’occurrences = 111)
  • Publicité pour des produits de mode : 60% de femmes VS 40% d’hommes (nombre total d’occurrences = 43)
  • Publicité pour des produits pharmaceutiques et parapharmaceutiques : 61% de femmes VS 39% d’hommes (nombre total d’occurrences = 61)
  • Publicité pour des produits ménagers : 58 % de femmes VS 42% d’hommes (nombre total d’occurrences = 86)

 

  1. Impératif de jeunesse accru pour les femmes

Si un certain impératif de jeunesse au sein de la communication commerciale semble toucher hommes et femmes confondus (46,97% des personnages analysés ont entre 19 et 34 ans), ces dernières semblent particulièrement victimes de cette tendance au jeunisme. Plus précisément, 54,69% des femmes se trouvent dans cette tranche d’âge pour 39,90% des hommes. « L’héroïne du récit publicitaire va souvent être dans un style de profil plutôt limité : 55% des intervenantes ont entre 19 et 34 ans, 91,50% d’entre elles sont blanches et souvent avec une morphologie assez mince » souligne Émilie Herbert, chargée de Recherches au CSA.

Grands absents du discours publicitaire, les seniors (65 ans et plus) représentent 3,85% de la communication commerciale.

 

  1. Les hommes sont deux fois plus associés au monde du travail que les femmes

La catégorie socio-professionnelle a pu être déterminée pour 40,40% des hommes contre 22,40% des femmes. De plus 32% des hommes sont mis en scène dans l’espace professionnel pour 15% des femmes. Dans la publicité, les hommes sont donc (près de) deux fois plus souvent associés au monde professionnel que les femmes.

Les espaces où l’on retrouve majoritairement les protagonistes féminins sont :

  • Espace public – de sociabilité : 39,00%
  • Espace privé : 29,90%
  • Espace professionnel : 15,19%

Les espaces où l’on retrouve majoritairement les protagonistes masculins sont :

  • Espace professionnel : 32,08%
  • Espace public – de sociabilité : 29,88%
  • Espace privé : 22,93%

 

  1. Division genrée des occupations et des activités parentales
  •  15,86% des hommes (contre 9,15% des femmes) sont investis dans une activité de parole et/ou en public (explications face caméra, prise de parole en public, spectacle sur scène) ;
  • 17,4% des personnages féminins (pour 8,16% des personnages masculins) sont investis dans les catégories « soin de soi », « soin aux enfants et activités en famille », « soin à autrui », « ménage et tâches domestiques » ;
  • S’agissant de la parentalité : les pères sont plus souvent représentés comme chefs de famille (27% des pères contre 2% des mères) qu’en charge des soins aux enfants et tâches du quotidien (48% des mères contre 13% des pères).

Les hommes sont davantage montrés comme des personnes actives, professionnelles, et tournées vers des activités physiques et créatives tandis que les femmes sont plutôt représentées dans des activités plus passives et tournées vers le soin et le foyer (soin de soi, des enfants, d’autrui…).

Ainsi, si la place des femmes n’est pas nécessairement au foyer (elles apparaissent davantage dans l’espace public que dans l’espace privé), la nature de leurs occupations tend à les « réassigner » à cet espace.. La communication commerciale tend à assigner aux femmes et aux hommes un rôle et des occupations correspondant soi-disant à leur genre, les enfermant dès lors dans des caractéristiques immédiatement identifiables comme étant soit féminines soit masculines.

 

  1. La parole : un domaine majoritairement réservé aux hommes
  • 60% des voix in et 60% des voix off sont masculines

Les femmes sont fréquemment exclues de l’espace de la parole. Ce sont des « corps sans voix » pour reprendre l’expression Mark Pedelty et Morgan Kuecker.

Par ailleurs lorsqu’elles se voient attribuer la parole, les femmes se concentrent davantage sur certaines catégories de produit que les hommes.

  • Les « voix in » féminines se concentrent nettement sur les produits de soin et de beauté ainsi que sur les produits ménagers (tandis que les voix masculines se distribuent plus largement sur une variété de produits) ;
  • Les « voix off » féminines se concentrent sur les produits alimentaires et sur les produits de soin et de beauté.

 

  1. Représentation du corps

Un nombre relativement restreint (6%) des communications commerciales sont porteuses de « marqueurs de sexualisation ». Mais, dans ces spots publicitaires, ce sont majoritairement les femmes qui sont mises en scène : 5% du nombre total de femmes apparaissent dans ce type de publicité (contre moins d’1% d’hommes).

 

7. Très peu de diversité des représentations 

  • 92% des intervenant-e-s sont perçu-e-s comme blanc-he-s
  • 92% d’intervenant-e-s sont de morphologie à tendance mince
  • 47% d’intervenant-e-s sont dans la tranche d’âge 19-34 ans (dont 55% des femmes).

« Un certain type de profil tend à se dégager de ces publicités et à en exclure un tas d’autres qui ne seront dès lors pas forcément représentés à la télévision », Émilie Herbert, chargée de Recherches au CSA.

En revanche, l’étude n’a pas décelé de surenchère d’images hypersexualisantes des femmes, telles que certaines études l’ont montré s’agissant notamment de la presse magazine.

« Souvent quand on parle de l’image des femmes dans la communication commerciale, on parle beaucoup de ce qu’on appelle communément le « porno chic », c’est-à-dire, des représentations hyper-sexualisées de corps féminins, dans certaines postures suggestives, positions de soumission ou avec des expressions particulières qui vont avoir des connotations sexuelles… » explique Émilie Herbert. « Ce n’est pas forcément le côté saillant de la publicité de grande audience que nous avons analysée. Et c’est donc un point positif de l’étude » souligne-t-elle.

 

Conclusion

 

Il existe bel et bien une division genrée des rôles dans le récit publicitaire. Les personnages se voient largement assigner une place, un rôle, en fonction de leur sexe.

« Les hommes vont également être restreints dans des types de profils assez récurrents mais moins que les femmes » précise Emilie Herbert. Au total, 196 personnages masculins peuvent être associés à des stéréotypes liés au genre masculin (soit 21,63% du nombre total des personnages masculins) et 341 personnages féminins peuvent être associées à des stéréotypes liés au genre féminin (soit 41,74% du nombre total de personnages féminins). Les femmes semblent donc doublement soumises à des représentations stéréotypées dans la communication commerciale par rapport aux hommes. En outre, les stéréotypes masculins tendent souvent (mais pas systématiquement) à être socialement plus valorisants.

Les stéréotypes féminins les plus courants associent les femmes à la jeunesse et la beauté, mais aussi à la maternité et aux tâches domestiques. Quant aux stéréotypes associés à la masculinité, ils sont liés à une image de confiance en soi, d’autorité, d’expertise, de détermination voire d’héroïsme et tendent donc à être socialement plus valorisant que les stéréotypes féminins.

Les anti-stéréotypes, visant à défier et transgresser ces représentations stéréotypées, existent mais ils sont à ce stade encore peu nombreux. Nous avons recensé un nombre de 30 personnages masculins pouvant être associés à un anti-stéréotype lié au genre masculin (soit 3,31% du nombre total de personnages masculins) et un nombre de 25 personnages féminins pouvant être associées à un anti-stéréotype lié au genre féminin (soit 3,06% du nombre total de personnages féminins).

« Bon nombre de représentations mises en exergue dans cette étude sont problématiques car la publicité dépose des traces dans nos esprits. En mettant en scène et en répétant sans cesse ces différences entre les hommes et les femmes, le récit publicitaire contribue à les conforter et les faire apparaître comme « naturelles ». Il conforte les attentes sociales traditionnellement construites autour du masculin et du féminin, alors même que nous vivons dans un monde où les identités de genre ne cessent de se fluidifier et d’évoluer » souligne Joëlle Desterbecq, Directrice des Etudes et Recherches au CSA.

Il est primordial que l’industrie publicitaire prenne conscience des représentations qu’elle diffuse à travers ses spots et du rôle qu’elle joue auprès du public. La publicité ne se limite pas à influer sur les habitudes de consommation, « elle influence aussi la manière dont on perçoit les femmes et les hommes » rappelle Émilie Herbert. Et ce faisant, elle participe à forger notre réalité sociale. Une représentation réaliste et objective des femmes et des hommes dans le discours publicitaire est dès lors indispensable afin de dépeindre avec plus de justesse notre réalité sociale et de rendre le discours publicitaire plus inclusif et conforme à notre société.

 

 

[1] Damien-Gaillard et al., L’assignation de genre dans les médias. Attentes, perturbations, reconfigurations, Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2014

[2] Macé, Éric., « Des « minorités visibles » aux néostéréotypes. Les enjeux des régimes de monstration télévisuelle des différences ethnoraciales », Journal des anthropologues, Hors-série, 2007