« Notre force résidera dans une offre de contenus diversifiés, différents, de qualité, uniques et locaux. »

 

Entretien avec Bénédicte Linard, Ministre de la Petite enfance, de la Culture, des Médias, de la Santé et des Droits des femmes

 

Au vu des résultats qui découlent de l’étude MAP, quel bilan tirez-vous sur les usages des modes de consommation ? Quel serait selon vous l’enjeu majeur en matière de consommation de médias audiovisuels, à court et/ou moyen terme au regard des enseignements et recommandations de cette étude ?

 

L’étude a montré que la télévision garde une place prépondérante parmi les modes de consommation des contenus audiovisuels, au sein de toutes les classes d’âge et catégories sociales. Dès lors, il semble essentiel d’assurer le maintien des contenus de qualité sur les services linéaires, et en particulier des contenus répondant aux missions de service public de la RTBF et des médias de proximité.

 

Cet enjeu d’accès aux contenus pertinents, par exemple culturels ou informatifs, est par ailleurs double et concerne aussi bien les services linéaires que non linéaires mais se décline différemment en fonction du mode de consommation : si en linéaire il est essentiel d’en assurer la présence, en non-linéaire l’enjeu est également celui de la mise en valeur et la promotion de ces contenus.

 

Cette observation provient d’une autre conclusion importante de l’étude : la complémentarité des modes de consommation (linéaire et non linéaire), en particulier chez les jeunes. Par ailleurs, il me semble intéressant de relever comment cette complémentarité s’articule : en fonction des habitudes mais également en fonction de types de contenus, bien évidemment.

 

L’articulation et l’interdépendance entre les modes de consommation sont également des constats importants.

 

Nos acteurs ont aussi intégré cette approche multimodale notamment avec la RTBF et Auvio, et la présence sur la plateforme d’un nombre croissant d’acteurs locaux – Sooner mais aussi des contenus du groupe AB ou encore l’arrivée imminente de LN24. Assurer la diversité des contenus au sein de l’ensemble des médias reste un enjeu majeur.

 

Ces questions vont m’animer dans les mois à venir, notamment avec la révision des conventions des Médias de proximité. En effet, les accompagner dans ce virage numérique et leur assurer une présence forte et marquante dans le paysage non-linéaire est primordial, tout en gardant le curseur sur ce qui est essentiel : leur position en tant que média de service public, à destination de tous les publics.

 

L’étude MAP a montré une bonne connaissance et une utilisation significative des consommateur.trice.s d’un certain nombre de marques, aussi bien locales que globales (YouTube, Facebook et Netflix y côtoient les offres respectives des distributeurs de services de médias audiovisuels Proximus, VOO, Telenet et Orange ainsi que RTBF Auvio ou les sites de journaux de presse quotidienne). Etant donné cette myriade d’offres et de services, quelle est votre ambition pour pérenniser le secteur audiovisuel belge francophone ?

 

Les acteurs du secteur audiovisuel belge francophone ont parfaitement conscience des enjeux liés à la forte pénétration des plateformes en ligne.

 

Leur pérennisation passera certainement par l’existence, de manière structurée, d’offres alternatives, locales et de qualité, de contenus audiovisuels.

 

Plusieurs initiatives du secteur peuvent être citées. Je pense par exemple, en radio, aux initiatives structurantes mises en place par la scrl maradio.be telles que radioplayer.be. On peut également parler de la volonté de la RTBF d’ouvrir sa plateforme Auvio aux éditeurs locaux.

 

La décrétalisation du Fonds des séries, l’ouverture de l’assiette de contribution à la production audiovisuelle aux éditeurs extérieurs ciblant le public de la Communauté française, le quota catalogue des œuvres européennes et des œuvres audiovisuelles d’initiative belge francophone doublé d’une obligation de mise en valeur et de promotion sont autant d’exemples de mesures nouvelles, introduites par le décret du 3 février 2021 relatif aux services de médias audiovisuels et aux services de partage de vidéos, qui tendent à garantir la pérennisation du secteur de l’audiovisuel belge francophone.

 

Des concertations sont, par ailleurs, ouvertes sur le niveau de contribution des éditeurs dans la production audiovisuelle. Cette obligation de contribution permet, avec les autres mesures précitées, la mise en place d’un cercle vertueux de production et de diffusion des œuvres.

 

Le Gouvernement a par ailleurs commandé une étude approfondie du marché publicitaire belge francophone afin de mieux comprendre, de manière évolutive et dynamique, les interactions entre la publicité et les médias, l’enjeu étant de renforcer la résilience des médias par rapport au marché publicitaire au regard de l’évolution des modes de consommation des médias. Des recommandations doivent être formulées en ce sens.

 

L’étude révèle que la RTBF Auvio est connue de 71,1% consommateur.trice.s de vidéo à la demande (VOD) et utilisée par 57% de ceux.celles qui ont déclaré connaître ce service. RTL Play est connu de 66,4% des consommateur.trice.s de VOD et utilisé par 27,6% de ceux.celles qui ont déclaré connaître ce service. Selon vous, afin de concurrencer les GAFAN sur le terrain des œuvres audiovisuelles, ne faudrait-il pas entamer une réflexion sur le développement d’offres audiovisuelles globales adaptées à la demande ?

 

Il me semble qu’il ne faut pas analyser la situation sous cet angle-là. L’objectif n’est pas de concurrencer les GAFAN mais de se différencier de ce type d’opérateurs mondiaux. Notre force résidera dans une offre de contenus diversifiés, différents, de qualité, uniques et locaux.C’est le sens de la réflexion à avoir. La FWB regorge de talents, nous avons tous les ingrédients pour créer des contenus forts. Mais l’objectif n’est pas de se comparer aux GAFAN, l’objectif est d’exister en offrant des contenus qui nous permettent d’avoir une identité propre forte.

 

L’heure est à la complémentarité entre les contenus globaux, offerts par les GAFAN et des contenus locaux, voire ultra-locaux, ayant un potentiel d’exportation mais également et surtout trouvant le public au sein de notre fédération.

 

L’étude MAP a mis en exergue que le rapport aux nouveaux modes de consommation des médias et aux équipements numériques s’inscrit dans des inégalités sociales et de genre. Leur appropriation par les usager.ère.s diffère selon le genre, l’âge ou encore le niveau de revenu de ces dernier.ère.s. L’étude suggère alors dans ses recommandations d’inclure une réflexion sur l’égalité des chances dans la mise en place de politiques publiques et de projets liés à la transition numérique. Qu’en pensez-vous ? Quelles mesures concrètes pourraient-elles être mises en place pour répondre à cet objectif ?             

 

Cette réflexion est effectivement essentielle ; le Plan Droits des femmes approuvé par le Fédération Wallonie-Bruxelles aborde certaines de ces facettes, en collaboration avec les autres entités – par exemple par la mise en œuvre du plan interfédéral « Women in digital » :

 

Développer l’utilisation, par des femmes et personnes souffrant le plus de la fracture numérique, de l’ensemble des outils numériques, qu’ils soient professionnels ou pas, la connaissance des technologies mais également renforcer la place des femmes dans le secteur en tant que professionnelles permettra une meilleure maitrise des outils et une meilleure connaissance. Ces enjeux sont les deux faces d’une même médaille.

 

L’éducation aux médias, l’utilisation des médias numériques ne concerne pas que les plus jeunes, par ailleurs. La fracture numérique se ressent particulièrement au niveau des personnes plus âgées, et l’enjeu de la désinformation, par exemple, les concerne de manière importante.  Les personnes plus âgées partagent par exemple plus d’infox. L’éducation aux médias doit dès lors concerner toutes les tranches d’âge.

 

L’étude MAP a mis en exergue que le trio de tête des services de vidéo à la demande les plus utilisés par les consommateur.trice.s de VOD (ayant préalablement affirmé les connaître) est constitué de YouTube (77,1%), Facebook (70,6%) et Netflix (67,7%). Ces évolutions soulèvent des questions sur l’appropriation des nouveaux modes de consommation et de leurs contenus par les jeunes publics. On observe en effet que les jeunes générations sont confrontées de but en blanc à cette profusion de l’offre sans nécessairement disposer des clés de compréhension fondamentales des contenus qui leurs sont proposés. Quelles solutions pourraient être envisagées pour mieux répondre à cette réalité ?

 

Je mettrai en lumière deux éléments de solution : la régulation et la suprarégulation des acteurs, d’une part, et l’enjeu de l’éducation aux médias, d’autre part.

 

Pour les réseaux sociaux et les plateformes de partage de vidéos ne relevant pas à proprement parler directement de la compétence de la Communauté française de Belgique, telles que Youtube, dont l’objet principal est de proposer au public des contenus créés par les utilisateurs, ce sont notamment les enjeux de désinformation et de protection des mineurs qui prédominent.

 

A l’égard de ces acteurs, outre les initiatives d’autorégulation récemment prises par le secteur en concertation avec les services de la Commission européenne, il y a la nécessité d’instaurer des règles harmonisées ou coordonnées au niveau européen, via l’ERGA, l’autorité européenne qui réunit l’ensemble des régulateurs nationaux de l’Union européenne. Celle-ci se double également de la nécessité d’adopter un arsenal juridique moderne au niveau européen.

 

Le lancement de la procédure législative en vue de l’adoption du projet de règlement de la Commission européenne sur les services numériques, en décembre dernier, va dans le bon sens en ce qu’il se donne pour ambition de renforcer les outils juridiques des autorités nationales, administratives et judiciaires, pour intervenir plus efficacement sur des contenus illicites.

 

L’enjeu de l’éducation aux médias est également essentiel ici. C’est pour cette raison que nous élaborons un plan “éducation aux médias” destiné à favoriser l’utilisation pratique, mais aussi critique, des médias, numériques ou non.

 

Pour des plateformes de vidéos à la demande, telles que Netflix ou Amazon Prime Video, qui exercent une responsabilité éditoriale sur les contenus qu’ils proposent dans leur catalogue, ces derniers sont soumis (via la transposition des mesures de coordination prévues par la directive 2018/1808 sur les services de médias audiovisuels) à des mesures plus précises et contraignantes, notamment en termes de protection des mineurs.

 

Ces plateformes doivent désormais mettre en place également des mesures afin de protéger des plus jeunes des contenus illicites et préjudiciables, notamment en ce qui concerne l’identification de contenus publicitaires, mais bien évidemment, nous avons un rôle à jouer dans le fait de permettre aux utilisateurs et utilisatrices de se repérer dans l’ensemble des contenus existants.

 


 

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