Quel regard portez-vous sur les résultats de notre recherche à la lumière des différentes études menées par l’IEFH ces dernières années ?   

Pour faire avancer les choses et aller vers l’égalité réelle, c’est très utile d’avoir des données plus fines que des moyennes nationales comme dans la publication « genre et emploi du temps », que l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes a publié en 2016. La différence moyenne entre femme et homme est d’une 1h25 par jour de temps en plus consacré aux tâches familiales et domestiques. A l’heure de la transposition de la Directive européenne « work life balance » d’ici l’été 2022 par toutes les entités fédérées belges et le fédéral, les hommes prennent seulement 25 % des congés parentaux. Les discussions au sein du Conseil National du Travail montrent que l’égalité des femmes et des hommes dans l’emploi se heurte encore à des préjugés très stéréotypés. 

 

Au cours de notre recherche, nous avons identifié une tension entre les exigences de présence au sein de l’entreprise et les contraintes personnelles et familiales. Quel regard portez-vous sur ce point de tension ?    

En 2020, nous sommes encore sous le poids des normes masculines tant dans la sphère privée que dans la sphère publique. Tant que les tâches familiales et ménagères ne sont pas partagées équitablement entre les hommes et les femmes (mais est-ce une revendication des hommes ?), que les femmes seront confrontées aux plafonds de verre (car dans une organisation, il peut en avoir plusieurs comme Claire Godding l’a montré dans le secteur bancaire), aux parois de cristal (ségrégation verticale) et au plancher gluant… tout cela ce sont des éléments constitutifs de cette tension. C’est donc complexe et il ne suffit pas de tirer sur un seul fil pour que la pelote de défasse. Il est donc important et urgent de déconstruire les stéréotypes dès le plus jeune âge. Il est important et urgent afin que les filles et les femmes puissent s’autoriser à faire carrière. L’étude « sexe et manuel » réalisée par la Fédération Wallonie Bruxelles montre à quel point les stéréotypes sont présents durant toute la scolarité (www.egalite.cfwb.be). 

 

Nous avons également évoqué le poids des responsabilités domestiques et familiales qui pèsent davantage sur les femmes que sur les hommes. Toutefois, nous avons identifié une différence de perception entre les hommes et les femmesComment expliquez-vous cette différence de perception ?   

C’est encore une fois l’éducation genrée qui conduit à ces différences de perception tout comme en matière de sexisme ordinaire ou du harcèlement dans l’espace public (qui inclut les lieux de travail et les réseaux sociaux). Les intervenant.e.s de l’éducation doivent être formé.e.s à l’égalité de genre entre les femmes et des hommes, à son impact et ce tout au long de la vie. Plus de mixité dans les métiers, et notamment plus d’hommes dans le secteur de la petite enfance, devrait lentement faire changer les mentalités. 

 

Quelles sont selon vous les conséquences de l’inégale répartition des responsabilités domestiques et familiales sur la trajectoire professionnelle des femmes ?   

Les femmes sortent actuellement plus et mieux diplômées que les hommes. Toutefois, lorsqu’elles ont accès à un emploi, leur accès à la formation continue est freiné par des contrats à durée déterminée, du travail à temps partiel et de l’auto-discrimination. Aujourd’hui, on consacre 50 % de plus de formation continue pour les hommes que pour les femmes.  Or, pas ou moins de formation continue, entraine un moindre accès à une promotion et à une augmentation salariale. C’est le début d’un cercle vicieux. Aujourd’hui, l’écart salarial reste important en Belgique puisqu’il est de plus de 20 % en salaire annuel, et 44 % des femmes travaillent à temps partiel en Belgique. 

Cet écart salarial a des répercussions sur la « sécurité sociale » : les indemnités maladie, invalidité, les maladies professionnelles, les accidents de travail, le chômage et la pension … Sans parler des avantages extra-légaux (étude sur www.conseildelegalite.be) : si un véhicule de fonction (tous niveaux de fonction confondus) est en moyenne « offert » dans 15 % dans des cas, la contribution à la crèche n’est que de l’ordre de 5 %. 

  

Selon vous, quels sont les leviers qui vous semblent les plus efficaces pour permettre de réduire l’impact des responsabilités domestiques et familiales sur la trajectoire professionnelle des femmes ?  

Un levier essentiel à mes yeux est que l’accueil – de qualité et collectif – des enfants soit un droit des enfants, et ce dès sa naissance, afin de diminuer la culpabilité et l’auto-discrimination des mères.  Il faut également « travailler » à ce que les pères puissent investir à part égale les responsabilités familiales et domestiques : congé de paternité plus long et obligatoire, congé parental mieux rémunéré. Depuis une vingtaine d’années, en Espagne comme en Roumanie, le congé de paternité va de pair avec des cours de puériculture pour les hommes afin de les aider à prendre leurs responsabilités et leur autonomie dans cette partie « vie privée » qu’ils méconnaissent. 

Il faut également faire évoluer la culture des organisations en changeant les conditions de travail : flexibilité positive, avec une attention particulière aux heures de réunions.  

Souhaitez-vous ajouter un autre élément ?   

Sur base de ces données, il est important, au-delà d’initiatives de « soft law » comme un plan de diversité ou une charte, de négocier avec tous.te.s les actrices et acteurs un plan d’actions de 3 ans, sans oublier de l’évaluer ! Il faut aussi bien impliquer les financeurs que les organisations syndicales, professionnelles et patronales, sans oublier les réseaux de femmes car dans les organisations précitées les femmes n’occupent pas – encore – les places décisionnelles. Pour cela il faut mobiliser tous les outils existants : conventions internationales OIT, COE, les directives européennes, les lois et décrets ET les chartes existantes comme celle signées par les trois organisations syndicales belges le 23 septembre 2004.