Entretien avec Joëlle Desterbecq, Directrice des Etudes et Recherches au CSA, qui a assuré la direction scientifique de l’étude relative à l’égalité de genre dans les métiers de l’audiovisuel
Pourquoi le CSA se penche sur cette question ?
Il y a plusieurs raisons. Jusqu’ici les travaux du CSA ont essentiellement porté sur les représentations à l’antenne/à l’écran. Pourtant, on voit que la question de la représentation équilibrée des hommes et des femmes à l’écran est une problématique globale qui implique aussi bien un travail sur les représentations à l’antenne que sur la gestion des ressources humaines. Les deux volets sont complémentaires.
Deuxièmement, on constate qu’en Fédération Wallonie Bruxelles, les données statistiques sont peu nombreuses ou parcellaires quant à la répartition des effectifs des professionnel.le.s des médias par genre. D’une part, les rapports annuels des éditeurs de services de médias audiovisuels ne contiennent pas nécessairement de détails sur ce type de données. Et d’autre part, les études qui existent en la matière se sont focalisées sur certaines fonctions professionnelles, comme les journalistes par exemple, mais ces études n’ont pas procédé à un examen transversal de l’ensemble des métiers des entreprises de médias. C’est notre objectif dans cette étude.
Enfin, c’est important de disposer de données, parce qu’on ne peut mettre en place des actions qu’à partir du moment où on a un état des lieux de la situation. Donc, avoir des statistiques relatives à l’emploi dans les entreprises de médias ventilées par sexe, c’est indispensable pour fonder des mesures régulatoires et des politiques publiques adaptées aux réalités sociales.
Quels sont les principaux objectifs de cette recherche ?
Les objectifs sont au nombre de quatre. Premièrement, on souhaite apporter des informations sur la distribution globale des hommes et des femmes au sein des éditeurs de services de médias audiovisuels (SMA), mais aussi sur leurs emplois et taux d’occupation respectifs, sur leur distribution dans les postes hiérarchiques ainsi que dans les familles de métiers de l’audiovisuel. Ensuite, on cherche à comprendre les trajectoires professionnelles des hommes et des femmes dans les métiers de l’audiovisuel et les ressources humaines des éditeurs SMA. On se penche plus spécifiquement sur les freins et les obstacles rencontrés par les femmes au cours de leur carrière : on cherche à comprendre les mécanismes à l’œuvre. Troisièmement, on recense les pratiques déjà développées par les éditeurs de services de médias audiovisuels pour accroître l’égalité de genre en interne. L’idée est d’identifier les champs pour lesquels des actions existent et d’autres peu explorés, voire inexplorés. Et enfin, on réfléchit aux pistes d’action pour accroître l’égalité de genre.
Comment avez-vous mis en place cette étude ?
C’est une recherche qui a duré près de 2 ans. Le premier défi a été de collecter des données et de construire une méthodologie solide avec des indicateurs précis. On a choisi de multiplier les méthodes de collecte des données pour renforcer le cadre de notre étude. On a analysé les informations sur le personnel contenues dans les Bilans sociaux des chaînes ; on a envoyé un questionnaire aux Directions des éditeurs de SMA ; on a diffusé un questionnaire anonyme en ligne adressé aux professionnel.le.s de l’audiovisuel qui nous a permis de collecter un peu plus de 400 réponses. A cela, on a ajouté l’analyse de plus de 700 profils issus du réseau social professionnel Linkedin. Et enfin, on a procédé à 22 entretiens semi-directifs avec des professionnelles de l’audiovisuel. On a ainsi des méthodes de collecte complémentaires qui permettent de renforcer le design de l’étude. Il a fallu ensuite traiter et analyser l’ensemble de ces données aussi bien quantitatives que qualitatives, ce qui a impliqué un travail très conséquent des équipes de chercheure.s !
Quels sont les principaux constats que vous tirez ?
On a identifié qu’il y a un certain socle d’opinions partagées par une majorité d’hommes et de femmes travaillant dans la sphère de l’audiovisuel quant à l’égalité de genre. Par exemple, plus de huit femmes sur dix (84,74 %) et près de sept hommes sur dix (69,68 %) qui ont répondu au questionnaire marquent leur accord avec l’affirmation selon laquelle « L’égalité entre les femmes et les hommes au sein de mon entreprise est une thématique importante pour moi ». On voit aussi que dans l’audiovisuel, il existe un certain nombre de contraintes partagées par les hommes et les femmes qui travaillent dans ce secteur : environnement en mutation (transformations, restructurations), statuts professionnels, flexibilité, volume d’heures, horaires atypiques, ….
Néanmoins, l’étude dresse une série de constats relatifs à des inégalités entre les hommes et femmes au sein des métiers de l’audiovisuel. Certains de ces constats sont communs à l’audiovisuel et à de nombreux secteurs professionnels : ils sont « transversaux » et l’audiovisuel n’y échappe pas. D’autres sont plus spécifiques au secteur audiovisuel. On peut citer notamment les horaires atypiques, le recours aux pigistes, indépendant.e.s mais aussi un accès difficile pour les femmes à certains métiers de l’audiovisuel.
De manière générale, on voit en termes quantitatifs, que les femmes sont sous-représentées au sein du personnel de la grande majorité des éditeurs de SMA. Sur les 24 entreprises étudiées, on a une proportion moyenne de 36% de femmes. Et puis, on perçoit des inégalités de genre qui prennent corps dans différents champs : l’accès à la hiérarchie ; l’accès aux métiers ; les salaires ; le vécu du sexisme et, parfois, du harcèlement et des discriminations ; la conciliation vie privée – vie professionnelle ; la construction de la trajectoire professionnelle. On pose des constats chiffrés, on analyse les obstacles et leurs mécanismes.
Un élément marquant des résultats est qu’on observe que les hommes et les femmes ont fréquemment des perceptions différentes des inégalités et des obstacles rencontrés par les femmes au cours de leurs trajectoires professionnelles. Ils ne perçoivent pas toujours les mêmes choses. Ces perceptions différentes apparaissent sur différentes thématiques, et plus spécifiquement s’agissant des situations de sexisme, harcèlement et violences envers les femmes.
Que faut-il faire maintenant ? Quelle est la suite ?
Cette recherche visait à combler un certain manque de données pour pouvoir passer à un deuxième stade : la réflexion sur les actions. Sur la base des inégalités de genre qui ont été identifiées au cours de la recherche, mais aussi de l’identification des champs d’action pour lesquels des initiatives existent déjà et des champs d’action peu, voire pas explorés, le CSA a formulé des recommandations pour promouvoir l’égalité de genre. Ces recommandations s’adressent, d’une part, aux éditeurs de services de médias audiovisuels et, d’autre part, aux pouvoirs publics. On espère maintenant que le secteur des médias et les pouvoirs publics vont s’en saisir. Il faut lancer la réflexion sur des actions concrètes.