Article lié à l'étude "Génération Digital Natives, comment perçoivent-ils la pub? 

 

 

Dans un contexte marqué par la convergence des médias audiovisuels traditionnels avec Internet, les formes de communications commerciales tendent à se redéfinir et à se diversifier. D’une part, elles gomment progressivement la distinction entre contenus éditoriaux et publicités sur laquelle reposait le cadre juridique belge et européen en matière de communication commerciale. D’autre part, elles prennent un caractère multiforme, associant des contenus audiovisuels mais aussi des contenus non audiovisuels, tels que de l’écrit ou des éléments graphiques.

Contextualisation

Dans ce contexte de convergence apparaissent également de nouveaux acteurs globaux qui dominent le marché de l’affichage publicitaire en ligne(1). La publicité online a représenté en 2014 le deuxième plus gros marché publicitaire, juste après la télévision. Elle représente 30,4% de l’ensemble des revenus publicitaires(2) . Si l’on se concentre sur la Belgique, la progression annuelle (2013-2014) de la publicité online sous forme de display est de 16,2%(3) .

Ces transformations posent la question d’un traitement équitable entre les acteurs qui diffusent des contenus identiques mais soumis à des régimes régulatoires distincts. Elles soulèvent également de nombreuses questions juridiques. La première d’entre elles porte sans aucun doute sur l’adéquation des règles sectorielles en matière de communication commerciale avec les pratiques actuelles sur les services non linéaires(4), et singulièrement, les plateformes Internet (sites internet, applications, plateformes de partage vidéo et sonore).(5)

La directive européenne « services de médias audiovisuels » met en place des régimes distincts pour les services de médias audiovisuels linéaires et non linéaires (à la demande). Le législateur européen définit une réglementation plus souple s’agissant des services à la demande au motif que l’utilisateur pose des choix et exerce donc un contrôle accru sur ce qu’il consomme, ainsi qu’en raison de l’impact que ces services ont sur la société (DSMA considérant 58). La communication commerciale est visée au premier chef par cette distinction entre services linéaires et non-linéaires.

Lors de la transposition de la directive SMA dans la législation de la Communauté française de Belgique, le législateur a atténué la distinction préconisée par la directive entre services linéaires et non linéaires au motif que l’argument du contrôle opéré par l’utilisateur sur les services non linéaires est utilisé de manière « excessive ». A cet égard, les travaux préparatoires du décret du 5 février 2009(6) précisent : « En effet, à partir du moment où l’objectif poursuivi par la réglementation est de protéger le téléspectateur et de veiller à ce qu’il ne soit pas porté atteinte à l’intégrité de certains programmes, rien ne permet de justifier un traitement différencié entre les programmes reçus de façon linéaire et ceux reçus de façon non linéaire ». Ainsi, le décret coordonné sur les services de médias audiovisuels n’effectue aucune distinction entre les services linéaires et non linéaires en matière de communication commerciale, sauf en ce qui concerne la règle quantitative(7).

La « transparence » de la communication commerciale fait partie des principes fondamentaux de la législation belge et européenne. En Communauté française, l’article 14, § 1er, première phrase du décret SMA dispose que : « La communication commerciale doit être aisément identifiable comme telle ».

Corrélativement, les paragraphes 2, 4 et 6 disposent que :

– « La communication commerciale ne peut pas utiliser des techniques subliminales » (§ 2).

– « Toute référence directe ou indirecte dans la communication commerciale à un programme ou à une séquence de programme de nature à créer la confusion quant au caractère commercial de la communication est interdite » (§ 4).

– « La communication commerciale clandestine est interdite (§ 6) ».
L’article 14 fait partie des « Règles générales pour les services linéaires et non linéaires ». Toutefois, ce socle juridique commun entre les SMA linéaires et non linéaires se heurte dans les faits aux pratiques actuelles sur les services non linéaires, et plus particulièrement sur les plateformes Internet. Un monitoring mené sur les nouvelles plateformes en 2015 par le CSA a permis d’analyser les différents formats de communications commerciales présents sur les services de médias audiovisuels déclarés et sur leurs plateformes d’hébergement.

Sur les SMA ayant fait l’objet du monitoring, on retrouve beaucoup de vidéos entourées de nombreux displays. Certains comportent la mention « publicité ». D’autres pas. Par ailleurs, les vidéos diffusées en ligne sont souvent précédées d’une publicité pré-roll. Ces publicités présentent généralement la mention « publicité » ou bien comportent une mention telle que « votre programme/vidéo commence dans 10, 9, 8, … secondes » parfois accompagnée de la mention « publicité ». Le display est-il en lui-même identifiable comme communication commerciale ? La possibilité de « skipper » est-elle, en elle-même, un indice que l’on est face à de la communication commerciale ? La mention « votre vidéo commence dans 10, 9, 8 … secondes » permet-elle d’identifier la communication commerciale ?

Une autre difficulté identifiée de manière concrète par le CSA au travers des monitorings concerne l’identification de la nature de la communication commerciale sur les plateformes Internet. Les enjeux liés aux différentes formes de communications commerciales, notamment le parrainage et le placement de produit, sont difficilement saisissables et l’utilisateur n’est dès lors pas toujours en mesure d’exercer la vigilance nécessaire.

Enfin, le développement du « native advertising » pose un autre défi aux principes d’identification – et de séparation – de la communication commerciale. Le propre de ce format est, en effet, d’apparaître moins intrusif et moins visible en s’insérant dans le contenu éditorial : « A native advertising strategy is based on the adoption of the look-and- feel, the visual design, the usability and the ergonomics of the publisher’s website(8) » . Son objectif est de brouiller la distinction entre le contenu éditorial et la communication commerciale en vue d’amenuiser les réactions hostiles, mais aussi les défenses, du consommateur vis-à-vis du message publicitaire « (…) not distinguishing advertising from news is exactly the idea that native advertising has been tackling. If the reader does not think about content in terms of promotional message, her or his barriers of reception become lower and advertising tolerance increases (Tutaj & van Reijmersdal, 2012)(9) » .

La recherche

La recherche développée par Claude Pecheux alimente la réflexion sur ces nouveaux formats de communications commerciales. Un certain nombre de « croyances » traversent en effet les esprits quand il s’agit de déterminer le rapport des jeunes générations à la pub sur les nouvelles plateformes. La génération des « digital natives » serait habituée à la présence de la communication commerciale, initiée à son décryptage, et disposerait nécessairement des « ficelles » pour éviter les pubs indésirables. Pourtant, les choses s’avèrent plus nuancées. Rappelons au préalable que les résultats de la recherche développée par Claude Pecheux ne peuvent être généralisés à l’ensemble de la population. L’enquête poursuit avant tout un objectif exploratoire sur la base de l’analyse d’un échantillon restreint. C’est une limite méthodologique dont il faut tenir compte. Compte tenu de ce paramètre, nous ne tirerons pas de conclusions fermes et définitives mais nous soulèverons des questions, pointerons des éléments interpellant dans les résultats de cette recherche.

Ainsi, plusieurs résultats de la recherche soulèvent des questions préoccupantes eu égard à la protection des consommateurs sur les services de médias audiovisuels non linéaires, et plus particulièrement les nouvelles plateformes. Les résultats invitent à différencier le « décryptage » de la communication commerciale sur les nouvelles plateformes de la familiarité avec cet environnement et/ou de son appréciation.

En effet, l’environnement non linéaire est privilégié par une très large majorité de répondants : 30/35 ne se disent plus très assidus de la télévision « classique » au cours des entretiens. D’autre part, les répondants se disent habitués à la présence de la communication commerciale. Une majorité de répondants (29/35) avance un argument de légitimité de la présence publicitaire sur les nouvelles plateformes : à partir du moment où c’est gratuit, il serait logique d’y trouver de la publicité. Les discours semblent empreints de résignation : la publicité apparaît comme une contrepartie « normale » même s’ils ne l’ont pas choisie. Une dizaine de répondants affirme par ailleurs avoir installé des logiciels bloqueurs de publicité, bien que tous reconnaissent que cela n’élimine pas toutes les pubs. Ils sont presque unanimes (34/35) pour affirmer qu’un contrôle total sur la communication commerciale diffusée sur les nouvelles plateformes n’existe pas. Les enquêtés disent aussi avoir habitué leur yeux à cette présence sur ces nouvelles plateformes, ne plus y prêter attention. Ainsi, il est intéressant de noter que la majorité des répondants se déclare « non influençable ».

Cependant, comme l’a rappelé Claude Pecheux, il faut prendre avec précaution ces discours au cours desquels les répondants déclarent ne plus prêter attention à la communication commerciale voire ne pas être influencé par elle. En effet, « il n’est pas exclu que les répondants aient été empreints de désirabilité sociale lorsqu’ils nous ont répondu ou aient surestimé leurs capacités ». Se pose alors la question de savoir si les répondants ignorent la communication commerciale sur les nouvelles plateformes ou s’ils ne sont pas conscients d’y être exposés ?

L’environnement non linéaire est donc privilégié par la grande majorité des répondants qui se disent habitués à la communication commerciale. Il semble donc y avoir une familiarité des digital natives interviewés avec l’environnement.

En outre, les enquêtés semblent avoir une image plus favorable de l’expérience de vision d’un programme sur les nouvelles plateformes. Ce résultat se dégage tant de l’enquête qualitative que du dispositif expérimental :

– Avant d’avoir vu les extraits diffusés au cours des entretiens, une majorité de répondants (27/35) pense qu’il y a moins de publicités sur les nouvelles plateformes que sur les services linéaires.

– L’appréciation de l’expérience de vision du « 12 minutes » (mesurée à l’aide d’une échelle en 5 points allant de « je n’ai pas aimé » à « j’ai aimé ») est significativement plus positive pour la condition 2 (vision en streaming) que pour la condition 1 (TV).

– De plus, les émotions suscitées lors du visionnage du « 12 minutes » en télévision (condition 1) sont plus négatives et expliquent l’appréciation générale, elle-même plus négative. En effet, six émotions ont été testées sur une échelle de 1 à 4 (joie, surprise, intérêt, dégoût, tristesse, irritation, concentration, colère). Les différences de scores moyens sur les émotions ressenties sont significatives pour 6 des émotions. Les émotions plus positives suscitées en streaming pourraient conduire à une meilleure appréciation des publicités.

Cependant, il ressort également des entretiens qualitatifs et de l’étude expérimentale une moins bonne identification de la communication commerciale sur les nouvelles plateformes. Si l’expérience de vision d’un programme en streaming sur une nouvelle plateforme est davantage appréciée par les répondants âgés de 17 à 25 ans, elle semble aussi être le lieu d’influences plus subtiles, moins visibles. L’environnement des nouvelles plateformes rend la communication commerciale moins facilement identifiable. Plusieurs résultats convergent en ce sens :

– Les entretiens semi-discursif menés, sur la base d’extraits de vidéo ou de captures d’écran, montrent que de nombreuses publicités sont repérées par les répondants mais pas toutes. Et quand elles le sont, c’est essentiellement de manière assistée grâce aux captures d’écran statiques. Quand il s’agit des extraits vidéo, certains répondants ne voient aucune communication commerciale.

– De plus, il semble que l’attention des répondants soit focalisée sur le « cadre » vidéo. Une majorité des répondants (31/35) parle de la publicité précédant la vidéo mais ne peut citer ou se rappeler avoir vu d’autres publicités.

– Enfin, les entretiens révèlent aussi un format de communication commerciale particulièrement problématique en termes d’identification : il s’agit des publicités qui prennent la forme d’articles. Ce format n’est pas identifié en tant que communication commerciale par une majorité de répondants (29/35), même lorsque le mot « publicité » figure dessus.

– Les résultats du dispositif expérimental confirment cette difficulté d’identification. En effet, lors du visionnage en streaming du « 12 minutes », il y a moins de rappel spontané des publicités que lors de la vision en télévision.

Dans tous les cas, cela ne signifie pas que les répondants soient moins influencés par la communication commerciale sur les nouvelles plateformes, mais que cette influence peut se faire plus subrepticement. L’environnement non linéaire, dense, où se mélangent publicité, autopromotion, sponsoring/parrainage « dans » et « en dehors » du flux audiovisuel aux différents contenus rend la communication commerciale moins facilement identifiable : la capacité à s’en souvenir, à la discriminer des autres contenus, à lui attribuer une attention persuasive pose question.

La littérature scientifique a montré que la capacité de l’utilisateur-récepteur à identifier le message en tant que communication commerciale est déterminante pour qu’il puisse en reconnaître l’intention persuasive et, partant, pour qu’il active la vigilance nécessaire. Plusieurs auteurs(10) opèrent ainsi une distinction entre la capacité à identifier l’intention commerciale et celle à identifier l’intention persuasive. La capacité à reconnaitre/identifier l’intention commerciale est une première étape de la capacité à reconnaître l’intention persuasive. L’identification claire du message en tant que communication commerciale est donc un critère déterminant, un préalable, à l’activation du code de lecture adapté aux messages persuasifs. Elle est un fondement de la protection du consommateur face à la communication commerciale.

Commentaires du CSA

Les résultats de la recherche attirent donc l’attention du régulateur sur un fondement essentiel de la protection du consommateur face aux intrusions et à la force persuasive de la communication commerciale : sa capacité à l’identifier et donc à activer la vigilance appropriée. Voir la communication commerciale => la discriminer des autres contenus => lui attribuer une intention persuasive : cette chaîne de compréhension semblerait mise à mal sur les nouvelles plateformes.

Bien entendu, ces résultats demanderaient à être vérifiés sur un échantillon beaucoup plus large. Néanmoins, ils nous interpellent dans un contexte de révision du cadre législatif européen relatif aux services de médias audiovisuels. Un cadre européen balisant la communication commerciale à la fois sur les services linéaires et non linéaires est plus que jamais nécessaire dans un contexte de convergence qui pose un défi au regard des valeurs de protection du consommateur, de défense de certaines règles éthiques et de compétition équitable qui constituent la pierre angulaire de la réglementation européenne en matière de SMA.

Dans ce contexte, la question de l’opportunité d’une harmonisation des règles de la directive SMA en matière d’identification et de séparation entre les services de médias audiovisuels linéaires et non linéaires se pose. Il pourrait s’agir dès lors d’aller au-delà du simplement « reconnaissables comme telles », très extensif, stipulé par l’article 9 de la DSMA.
Le Collège d’autorisation et de contrôle du CSA a déjà eu l’occasion de souligner dans sa « Recommandation relative aux communications commerciales sur les plateformes Internet » : « Dans la mesure où les formats commerciaux sur Internet tendent à se renouveler continuellement – en jouant davantage sur le brouillage des frontières entre contenus commerciaux et éditoriaux – et à faire émerger de nouvelles techniques, il est difficile de préjuger que l’utilisateur maîtrise d’emblée tous les codes de lecture liés à ces formes de communication commerciale »(11) . Les résultats de la recherche laissent à penser que la maîtrise des différents codes de lecture ne va pas nécessairement de soi, même quand l’utilisateur est familiarisé avec l’environnement non linéaire.

Enfin, la transition générationnelle vers d’autres supports de consommation que la TV traditionnelle s’accompagne d’une modification dans la consommation des messages publicitaires. Améliorer l’expérience de consommation des programmes est déjà bien perçue par les éditeurs et les distributeurs de services. Intensivement déployé sur le web, le ciblage comportemental s’amorce en télévision. Les données contenues dans les décodeurs numériques permettent en effet de connaître le profil des téléspectateurs et de leur adresser des recommandations sur les programmes mais aussi de la publicité ciblée. Récemment, Proximus a annoncé le lancement de la publicité ciblée vers ses abonnés et les éditeurs sont de plus en plus nombreux à vouloir adapter leur stratégie publicitaire dans les services non linéaires. La publicité ciblée, qui mélange les caractéristiques de la communication commerciale sur les services linéaires et non linéaires, renouvelle les questions sur l’identification de la communication commerciale et la compréhension de ses mécanismes par le téléspectateur. Un nouveau champ, riche d’enjeux régulatoires, s’ouvre à la recherche.

 

Etude complète 

 

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1 Grece, C., « Le marché européen de la publicité en ligne. Une brève introduction à l’écosystème européen de l’affichage publicitaire en ligne » in Nikoltchev, S., dir., Les nouvelles formes de communications commerciales à l’heure de la convergence, IRIS Spécial, Observatoire européen de l’audiovisuel, 2014, p. 39.
2 IHS Technology, « Paving the way : how online advertising enables the digital economy of the future. Executive summary » (Source IAB Europe), November, 2015, p. 3.
3 IAB Europe, Adex Benchmark 2014, « Display advertising growth year-on-year (%) ». Les auteurs distinguent la publicité display des formes suivantes de publicité online : classified & directories, paid-for-search, other. Ils intègrent la vidéo dans la publicité display.
4 La notion de service non linéaire couvre tous les services consistant en un catalogue de contenus dont la consommation se fait à la demande, par opposition au service linéaire destiné à être reçu par le public au même moment.
5 Voyez : CSA, L’accès aux médias audiovisuels. Plateformes et enjeux, Bruxelles, février 2016.
6 Doc. Parl., P.C.F., 2008-2009, n°634/1, p. 14.
7 Elle vise la durée de la communication commerciale.
8 Matteo, S., Dal Zotto, C., “Native advertising, or how to stretch editorial to sponsored content within a transmedia era” in Siegert G., et al., eds., Handbook of Media Branding, New York – Dordrecht – London, Springer, p. 177.
9 Idem, p. 178.
10 Voyez les travaux suivants : Boerman S. C., van Reijmersdal, E. A., Neijens P. C., “Effects of sponsorship disclosure timing on the processing of sponsored content : a study of the effectiveness of European disclosure regulation”, Psychology and marketing, vol. 31 (3), 2014 ; Tutaj, K., van Reijmersdal, E. A., “Effects of online advertising format and persuasion knowledge on audience reaction”, Journal of Marketing Communications, vol. 18, n°1, 2012 ; Carter O. B. J., Patterson L. J., Donovan R. J., Ewing M. T., Roberts C. M., “Children’s understanding of the selling versus persuasive intent of junk food advertising : Implications for regulation”, Social Science Medicine, 72, 2011.
11 Collège d’autorisation et de contrôle, Recommandation relative aux communications commerciales sur les plateformes Internet, 12 novembre 2015, p. 12.