Article lié à l'étude "Génération Digital Natives, comment perçoivent-ils la pub? 

 

Dans un contexte marqué par la convergence des médias audiovisuels traditionnels avec Internet, les formes de communication commerciale tendent à se redéfinir et à se diversifier. D’une part, elles gomment progressivement la distinction entre contenus éditoriaux et publicités sur laquelle reposait le cadre juridique belge et européen en matière de communication commerciale. D’autre part, elles prennent un caractère multiforme, associant des contenus audiovisuels mais aussi des contenus non audiovisuels, tels que de l’écrit ou des éléments graphiques. Comment ces nouvelles formes de communication commerciale sont-elles perçues par les « digital natives » ? C’est cette thématique que la recherche entend explorer.
Objectifs et méthodologie :

La recherche porte sur la perception de la communication commerciale sur les services de médias audiovisuels linéaires et non linéaires par les jeunes de 17 à 25 ans. Par perception, il faut entendre : L’identification de la communication commerciale, c’est-à-dire voir la communication commerciale et s’en souvenir (rappel) mais aussi discriminer la communication commerciale des autres contenus et comprendre l’intention persuasive du message ; La réaction face à la pression commerciale, c’est-à-dire évaluer la quantité de communication commerciale, développer (ou non) une tolérance face à celle-ci.

La recherche s’est déroulée en deux phases : Une phase qualitative au cours de laquelle 35 entretiens semi-directifs ont été menés en face à face avec des jeunes de CSP diversifiées ; Une phase expérimentale où l’expérience de vision d’un même programme sur un service linéaire, d’une part, et non linéaire, d’autre part, par deux groupes d’étudiants a été testée dans un environnement contrôlé. 86 étudiants de l’UCL Mons ont été soumis à cette phase expérimentale.

L’enquête poursuit avant tout un objectif exploratoire sur la base de l’analyse d’un échantillon restreint. Les résultats ne peuvent être généralisés à l’ensemble de la population.

1. Phase qualitative :

– 35 entretiens ; jeunes de 17 à 25 ans ; CSP diversifiées (étudiant et non étudiant ; élèves du secondaire général et technique/professionnel ; jeunes en apprentissage).
– entretiens focalisés sur 3 genres de programme : l’information (JT), le divertissement (télé-réalité : The Voice, Top Chef), le sport. Les programmes de deux éditeurs de services actifs en Communauté française ont été retenus : RTL et la RTBF.
– Les entretiens ont été structurés comme suit :
* Habitudes de consommation des médias audiovisuels ;
* Perception de la communication commerciale sur les services linéaires et non linéaires (définition. Cf. supra). Il s’agit ici de réactions spontanées, obtenues préalablement à l’exposition du répondant à des extraits de programmes et des captures d’écran ;
* Perception de la communication commerciale sur les services linéaires et non linéaires, assistée par des extraits de programmes et des captures d’écran ;
* Réglementation de la communication commerciale.

2. Phase quantitative – expérimentale :

– 86 étudiants de premier cycle de l’UCL Mons, âgés de 18 à 22 ans ;
– exposés au même contenu : le « 12 minutes » de la RTBF du 21 avril 2016 (premier reportage) ;
– visionné sur un service linéaire ou sur un service non linéaire :
* groupe 1 – condition 1 : enregistrement TV (avec le tunnel publicitaire et les annonces d’autopromotion qui précèdent le programme) ;
* groupe 2 – condition 2 : en streaming via la plateforme internet de la RTBF (avec une publicité en début de vidéo -pré-roll-, des liens promotionnels, une publicité au milieu de l’écran, de l’autopromotion, les logos de plusieurs réseaux sociaux).
Il y a donc deux conditions expérimentales.

L’homogénéité des profils des répondants n’a pas d’impact sur les comparaisons entre les deux groupes expérimentaux et donc sur ce qu’on appelle la « validité interne ». Par contre, c’est une limite à la « validité externe ». Les résultats ne sont donc valables que pour l’échantillon testé et ne peuvent être étendus à la population.
Les variables testées sur les deux groupes sont les suivantes :

– L’expérience globale de vision ;
– Les réactions affectives pendant la vision ;
– Le rappel spontané de la communication commerciale ;
– Le rappel assisté de la communication commerciale ;
– Discriminer la communication commerciale des autres contenus – attribution d’une intention persuasive.

Les différentes variables sont mesurées à l’aide d’échelles mono ou multi items (par ex. « surprise » ressentie : pas du tout, pas vraiment, un peu, beaucoup).

Principaux résultats :

 

Dans leur grande majorité (30/35) les répondants ne se disent plus très assidus de la télévision « classique ».Non seulement, la télévision linéaire « classique » semble peu regardée par les enquêtés, qui ap-partiennent à la génération des « digital natives », mais en outre ceux-ci semblent avoir une image plus favorable de l’expérience de vision d’un programme sur le web. Ce résultat se dégage tant de l’enquête qualitative que du dispositif expérimental : Avant d’avoir vu les extraits diffusés au cours des entretiens, une majorité de répondants (27/35) pense qu’il y a moins de publicités sur les nouvelles plateformes que sur les services linéaires. L’appréciation de l’expérience de vision du « 12 minutes » (mesurée à l’aide d’une échelle en 5 points allant de « je n’ai pas aimé » à « j’ai aimé ») est significativement plus positive pour la condi-tion 2 (vision en streaming) que pour la condition 1 (TV).

 

De plus, les émotions suscitées lors du visionnage du « 12 minutes » en télévision (condition 1) sont plus négatives et expliquent l’appréciation générale, elle-même plus négative. En effet, six émotions ont été testées sur une échelle de 1 à 4 (joie, surprise, intérêt, dégoût, tristesse, irritation, concentration, colère). Les différences de scores moyens sur les émotions ressenties sont significa-tives pour 6 des émotions. Les émotions plus positives suscitées en streaming pourraient conduire à une meilleure appréciation des publicités.

 

Cependant, il ressort également des entretiens qualitatifs et de l’étude expérimentale une moins bonne identification de la communication commerciale sur les nouvelles plateformes : Les entretiens semi-discursif menés, sur la base d’extraits de vidéo ou de captures d’écran, montrent que de nombreuses publicités sont repérées par les répondants mais pas toutes. Et quand elles le sont, c’est essentiellement de manière assistée grâce aux captures d’écran statiques. Quand il s’agit des extraits vidéo, certains répondants ne voient aucune communication commerciale. De plus, il semble que l’attention des répondants soit focalisée sur le « cadre » vidéo. Une majo-rité des répondants (31/35) parle de la publicité précédant la vidéo mais ne peut citer ou se rappeler avoir vu d’autres publicités. Enfin, les entretiens révèlent aussi un format de communication commerciale particulièrement problématique en termes d’identification : il s’agit des publicités qui prennent la forme d’articles.

 

Ce format n’est pas identifié en tant que communication commerciale par une majorité de répondants (29/35), même lorsque le mot « publicité » figure dessus. Les résultats du dispositif expérimental confirment cette difficulté d’identification. En effet, lors du visionnage en streaming du « 12 minutes », il y a moins de rappel spontané des publicités que lors de la vision en télévision. Ceci peut être interprété comme étant le résultat d’une moins bonne prise de conscience de la communication commerciale sur une nouvelle plateforme ; d’une difficulté à attribuer une intention persuasive à la communication commerciale sur le web où tout est enche-vêtré. La communication commerciale se fond plus dans le décor sur les nouvelles plateformes et/ou l’oeil s’habitue à cette présence. Cela ne signifie pas que les répondants soient moins influencés par la communication commerciale sur les nouvelles plateformes, mais que cette influence peut se faire plus subrepticement, de manière moins consciente.

Dès lors, si l’expérience de vision d’un programme en streaming sur une nouvelle plateforme est davantage appréciée par les enquêtés, elle semble aussi être le lieu d’influences plus subtiles, moins visibles. L’environnement non linéaire, dense, où se mélangent publicité, autopromotion, sponsoring/parrainage « dans » et « en dehors » du flux audiovisuel aux différents contenus rend la communication commerciale moins facilement identifiable : la capacité à s’en souvenir, à la discriminer des autres contenus, à lui attribuer une attention persuasive pose question.

Toutefois, une majorité de répondants (29/35) avance un argument de légitimité de la présence publicitaire sur les nouvelles plateformes : à partir du moment où c’est gratuit, il serait logique d’y trouver de la publicité. Les discours semblent empreints de résignation : la publicité apparaît finalement comme une contrepartie « normale » même s’ils ne l’ont pas choisie.
Les enquêtés apparaissent donc résignés face à cette communication commerciale, disent habituer leur oeil à ne pas la voir, voire n’en sont pas conscients.

 

Etude complète