Dans le cadre de l’étude « Place et représentation des femmes dans les fictions TV » menée par les régulateurs de l’audiovisuel de Tunisie et de la Fédération Wallonie-Bruxelles, une méthodologie commune a été mise en place pour comprendre la place et l’image des femmes dans les fictions télévisées. Quelle est leur présence d’un point de vue quantitatif à l’écran mais aussi derrière la caméra ? De quelle manière sont-elles représentées ? Quels sont les attributs constitutifs de leur identité (âge, profession, situation familiale, état civil, normes et valeurs, mise en valeur du corps, etc.) et quel est leur rôle dans le récit ? Les résultats ont également été relus transversalement afin de déterminer s’il existe des stéréotypes de genre mais aussi, des contre-stéréotypes ou anti-stéréotypes de genre.
Le corpus
Le CSA belge s’est basé sur un corpus de 8 fictions à épisodes coproduites par la RTBF. En raison du déploiement des politiques publiques de soutien à la production de séries télévisuelles locales, nous avons intégré dans le corpus les fictions dans lesquelles la RTBF a investi au cours de l’exercice 2015. Différents modes de production des fictions ont été pris en considération : des fictions du « Fonds séries » ; des webséries ; enfin, des coproductions en partenariat avec la France. Différents genres ont été intégrés à l’analyse : deux séries familiale (Clem et Une famille formidable), trois séries policières (Candice Renoir, La Trêve et Ennemi Public) et trois webséries (Euh, Typique et Burkland).
L’étude s’est portée sur les personnages principaux et secondaires récurrents. 82 personnages ont ainsi été analysés. Toutefois, les caractéristiques de chaque personnage ont été encodées par épisode afin d’en saisir les évolutions dans le récit. Nous avons analysé un corpus de 2574 minutes, soit 42 heures et 54 minutes.
Nous nous sommes posé la question de savoir si un rôle est « assigné » aux personnages des fictions en fonction de leur sexe. Et s’il existe, dès lors, des stéréotypes de genre mais aussi d’éventuelles reconfigurations dans les identités et les rapports de genre.
Des résultats nuancés
Globalement, d’un point de vue quantitatif, on a une présence féminine relativement importante dans des positions clés du récit. Il y a des variations selon les séries étudiées.
D’un point de vue qualitatif, on constate un certain nombre de reconfigurations dans les identités et les rapports de genre au sein des fictions. Il y a des représentations encourageantes. Toutefois, on observe aussi, d’une part, qu’un certain nombre de prescrits pèsent plus fortement sur les personnages féminins que masculins et d’autre part, que certaines de ces reconfigurations sont ambivalentes. Plusieurs mécanismes narratifs visent à soutenir l’ambiguïté de ces reconfigurations, voire les disqualifier. Enfin, on observe un plus grand équilibre entre les représentations quantitatives et qualitatives des personnages masculins que féminins.
Les femmes sont davantage visibles dans les positions clés du récit … mais très peu représentées derrière la caméra
Sur un total de 82 personnages principaux et secondaires récurrents, 36 sont des femmes (43,90 %) et 46 sont des hommes (56,10%). On observe donc une sous-représentation des femmes dans ces fictions, puisqu’au 1er janvier 2016, la proportion de femmes dans la société belge était de 50,86%. Néanmoins, ce chiffre est supérieur à la proportion d’intervenants féminins identifiés au sein des fictions dans le Baromètre Egalité-Diversité du CSA. Celui-ci dénombrait en 2013 37,02% d’intervenants féminins au sein des fictions.
Par ailleurs, 60% des personnages principaux des fictions étudiées sont des femmes : on a donc une présence féminine relativement importante dans des positions clés du récit.
Enfin, on observe des disparités importantes selon les séries étudiées. Quantitativement, Ennemi Public est la série la plus masculine avec seulement 20% de personnages féminins, là où ce pourcentage atteint 60% pour la série Candice Renoir.
Lorsqu’on regarde la place des femmes au générique, on se rend vite compte qu’il y a encore des divisions assez genrées des tâches derrière l’écran :
- sur le nombre total de créateurs-trices des séries et webséries de notre corpus, nous recensons seulement 23,81% de créatrices (5 sur 21) ;
- sur le nombre total de réalisateurs-trices, nous recensons 16,67% de réalisatrices (2 sur 12) ;
- 94,20% des épisodes étudiés (65 sur 69) ont été réalisés par un homme.
Moins de « jeunisme » pour les femmes que pour les hommes
Si l’âge est traditionnellement considéré comme une « qualité périssable »[1] pour les personnages féminins des fictions plus que pour leurs homologues masculins, l’étude du CSA pointe une tendance à plus de diversité dans les catégories d’âge à l’intérieur desquelles les personnages féminins évoluent.
La catégorie où se concentrent les personnages féminins principaux et secondaires récurrents est bien celle des 19-34 ans (36,11%). Néanmoins, une large majorité des personnages féminins principaux (66,67%) a entre 35 et 64 ans. Ce « vieillissement » des « héroïnes de série télévisée » féminines permet de présenter à l’écran un éventail plus large de profils féminins et de créer un lien avec un public intergénérationnel (particulièrement dans le cas des séries familiales).
Par ailleurs, on observe également que les hommes ne semblent pas protégés d’une certaine tendance au "jeunisme", favorisant les représentations d’une masculinité plus juvénile à l’écran (45,65% de 19-34 ans). Le nombre important de personnages masculins appartenant à la tranche d'âge 19-34 ans peut s’expliquer par la surreprésentation de personnages masculins dans des webséries telles que Euh et Typique. La websérie étant un genre destiné principalement à un public jeune et à l'aise avec les nouvelles technologies[2], on y retrouve généralement des personnages d’une tranche d’âge (19-34 ans) auquel le public pourra aisément s’identifier.
Les femmes restent largement représentées comme mères. Toutefois, elles sont inscrites dans un couple « libre » et ne renoncent pas à leur carrière et à leur épanouissement personnel
Les personnages féminins sont en grande majorité des mères de famille (60% des personnages féminins sont parents contre 33,33% des personnages masculins), mais elles sont plus souvent montrées au sein d’un couple “libre” (non officialisé) qu’au sein d’un mariage. Ainsi, 25,71% des personnages féminins sont mariés tandis que 34,29% sont installés dans un couple « libre » (contre respectivement 22,22% et 24,44% des personnages masculin). Le mariage n’est présenté ni comme une nécessité, ni comme un « idéal » dans la vie d’une femme, ce qui correspond à une réalité sociale belge où le nombre de mariages baisse graduellement depuis 1990[3].
Les personnages féminins sont en majorité des femmes actives (61,11% des personnages féminins – pour 67,39% de personnages masculins). On les retrouve dans des métiers diversifiés (police ; médecine; journalisme ; agriculture ; personnel des services…).
Les femmes sont également plus nombreuses que les hommes à appartenir à des catégories socio-professionnelles supérieures (professions intellectuelles et scientifiques, dirigeants et cadres supérieurs – comprenant les dirigeants et cadres supérieurs de l'administration publique, d'entreprises et les membres de l'exécutif et des corps législatifs) : 22,22% de personnages féminins pour 15,22% de personnages masculins.
Il est vrai que les femmes sont régulièrement représentées comme sentimentales, romantiques, douces et émotives (particulièrement dans les séries familiales) … mais également comme travailleuses. Le travail en effet une valeur importante pour une grande partie de personnages féminins que l’on pourrait qualifier d’héroïnes « post-féministes »[4] : ces femmes cherchent à concilier vie de famille, relations sentimentales et carrière professionnelle.
Ces différents points sont des éléments positifs et encourageants, qui témoignent de certaines reconfigurations quant à la représentation des femmes à l’écran.
Inscription des personnages féminins au sein d’une relation de couple et pression asymétrique à la beauté entre les femmes et les hommes
Comme explicité plus haut, le mariage n’est présenté ni comme une nécessité, ni comme un idéal dans la vie d’une femme. Néanmoins, la relation de couple est une thématique très forte dans les fictions étudiées et ses failles peuvent être à l’origine de bouleversements dans le récit (par ex. dans La Trêve).
Qui plus est, si la famille recomposée est parfois représentée (dans Clem et Une Famille Formidable), il y a en définitive peu de représentations « alternatives » du couple. Celui-ci est très majoritairement hétérosexuel et, dans le cas contraire, très hétéronormé. En outre, cette prégnance de la relation de couple pour les personnages féminins est renforcée par l’association de la féminité à la maternité : 60% des personnages féminins sont mères. Être mère, amoureuse, en couple – hétérosexuel – reste implicitement une forme de prescrit social pour les femmes dans la plupart des fictions de la FWB étudiées.
L’inégalité de genre se manifeste aussi via la morphologie et la mise en valeur des corps des personnages féminins. En effet, bien que les deux sexes répondent en large majorité à des codes hégémoniques de minceur, les personnages masculins possèdent de manière générale des types de morphologie plus variés (en termes de poids, de taille, de musculature…).
En revanche, la constance de la minceur chez les personnages féminins permet de répondre à une norme sociale qui valorise les corps minces et fermes. Ainsi, la représentation d’un corps mince, ferme et athlétique vaut pour 77,78% des personnages féminins contre 67,40% des personnages masculins.
Outre la valorisation d’une morphologie mince, l'attractivité physique des personnages féminins passe souvent par le port de tenues vestimentaires courtes, moulantes et/ou décolletées, de chaussures à talons, par un maquillage/une coiffure soignés ou encore, parfois, par une représentation de corps (partiellement) déshabillés. Ainsi, 41,67% des personnages féminins vont porter au moins une fois une tenue qui va souligner la silhouette féminine ; 50% affichent un maquillage et une coiffure particulièrement soignés ; 58,33% sont montrés au moins une fois avec des chaussures à talons au pied ; 30,56% apparaissent au moins une fois en lingerie et 19,44% sont représentés totalement ou partiellement nues au moins une fois. L’attractivité féminine passe par une mise en valeur du corps.
94,44% des personnages féminins sont perçus comme blancs, valides, hétérosexuels et de classe moyenne/moyenne supérieure
Tant du côté des personnages principaux que secondaires récurrents, aucune femme n’est issue de la diversité d’origine. Seuls 5 personnages masculins sont vus comme « non blancs », soit 6,10% de l’ensemble des personnages principaux et secondaires. 91,67% des personnages féminins principaux et secondaires récurrents sont hétérosexuels contre 69,57% des personnages masculins.
Seuls 2,78% des personnages féminins principaux et secondaires récurrents présentent un handicap visible. Si l’on y ajoute les personnages secondaires récurrents et sporadiques, ce chiffre est de 0,22% (pour 0,43% de personnages masculins).
En outre, les femmes possédant plusieurs marqueurs d'identité sont victimes d'une sous-représentation générale : 94,44% des personnages féminins principaux et secondaires récurrents sont perçus comme blancs, valides, hétérosexuels et de classe moyenne/moyenne supérieure (78,26% de personnages masculins sont dans ce cas).
Des reconfigurations ambivalentes
On observe certaines reconfigurations ambivalentes. Cette ambivalence crée des personnages paradoxaux, ce qui accroît leur complexité narrative mais limite aussi la portée des reconfigurations dans les identités et les rapports de genre.
Dans les séries policières (La Trêve, Candice Renoir et Ennemi Public), on se trouve face à un clivage entre des personnages de policières plutôt “viriles”, et des profils féminins plus généraux qui vont être plutôt dans la douceur, l’empathie, ou encore l’émotivité. L’un des messages véhiculés dans ces séries est que pour être une bonne "flic", il faut se comporter de manière virile et donc effacer sa féminité apparente, physique[5]. Plus largement, on observe une masculinisation des traits de caractère des « femmes au métier d’hommes ». Les personnages de Chloé Muller (Ennemi Public) ; Sylvie Leclerc, Christelle Da Silva et Aline Jego (Candice Renoir) ; Marjorie (La Trêve) ; Marjorie (Clem) et Lou (Burkland) affichent tous une apparence et un comportement "masculinisés", qui va apparaître comme une performance obligée pour exercer un métier traditionnellement masculin, en l’occurrence : policier, agriculteur, ou journaliste.
Autre exemple : lorsqu’un personnage féminin est contre-stéréotypé ou réussi quelque chose dans sa quête, il peut faire en même temps l’objet de mécanismes de « punition symbolique » (par exemple, il présente une « faille » psychologique) ou de « disqualification »[6] (il est perçu négativement par les autres personnages ou constitue une figure d’opposition), ce qui a déjà été souligné dans la littérature scientifique.
Ces personnages paradoxaux semblent être le reflet des tensions qui se jouent au sein de chaque société entre la contestation des normes de genre et leur réaffirmation.
Equilibre entre les représentations quantitatives et qualitatives au profit des personnages masculin
De manière transversale, les 8 fictions étudiées présentent un nombre important de profils psychologiques masculins, qui sont relativement variés : on observe un équilibre entre des représentations qualitatives et quantitatives de la masculinité.
En revanche, seules 4 fictions sur 8 – des fictions de genres diversifiés (La Trêve, Candice Renoir, Burkland, Une Famille Formidable) – vont offrir un tel équilibre dans les représentations de la féminité à l’écran. Une fiction (Ennemi Public) propose des représentations qualitativement riches mais avec une présence malgré tout réduite de personnages féminins ; une fiction (Clem) met en scène un nombre important de personnages féminins mais dont les représentations restent fort stéréotypées ; et deux fictions (Euh ; Typique) présentent une minorité de personnages féminins, avec des profils psychologiques relativement limités. Occupant relativement peu d’espace dans l’intrigue, les personnages féminins ne possèdent pas d’arc narratif propre et restent donc “au service” des personnages principaux (masculins).
L’arrivée en 2017 de nouvelles webcréations (Jezabel, La théorie du Y) mettant en valeur des thématiques jusque-là peu explorées (la bisexualité) et des personnages d’ordinaires sous-représentés (le personnage principal de Jezabel qui est une jeune musicienne muette) montre cependant que la webcréation se trouve peut-être déjà dans un processus d’intégration de perspectives alternatives, plus enclines à déconstruire les stéréotypes.
Consultez le dossier de presse
Entretien avec Joelle Desterbecq, Directrice des recherches : CSA
Consultez l'analyse juridique de l'étude
[1] Arbogast, M., « De si jeunes femmes… Analyse longitudinale des écarts d'âges et des inégalités de genre dans les séries policières », Genre en Séries: Cinéma, Télévision, Médias, Vol.1, 2015, p. 77-99.
[2] www.rtbf.be, 2017 – En ligne : https://www.rtbf.be/webcreation/actualites/detail_eric-pellegrin-c-est-dans-le-web-que-se-loge-la-creation-la-plus-interessante-aujourd-hui?id=9538755
[Consulté le 2 mars 2017].
[3] Cf Site Internet de Statistics Belgium :
http://statbel.fgov.be/fr/statistiques/chiffres/population/mariage_divorce_cohabitation/mariages/
[Consulté le 8 mars 2017].
[4] Gill, R., «Postfeminist media culture: Elements of a sensibility», European Journal of Cultural Studies, Vol. 10, N° 2, 2005.
[5] Un phénomène déjà observé par Geneviève Sellier et Taline Karamanoukian s’agissant des séries policières françaises.
[6] Voyez : Macé, E., « Mesurer les effets de l’ethnoracialisation dans les programmes de télévision : limites et apports de l’approche quantitative de la diversité », Réseaux, 2009/5, n°157-158. Sellier, G., « Les séries policières françaises : de nouveaux rapports hommes/femmes ? », Médiamorphoses, n°118, 2007.
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