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Entretien avec Yasmina Ghanim, auteure de l'étude Tabac et fictions
En s’exposant aux fictions diffusées de 19 heures à minuit sur huit chaînes francophones actives ou diffusées en Fédération Wallonie-Bruxelles pendant 7 jours consécutifs (du 30 janvier au 5 février), nous avons été confrontés à :
– 32 programmes comportant au moins un produit du tabac et/ou comportement tabagique. Cela représente 21,62% des programmes de fiction diffusés au cours de cette période ;
– 105 scènes de tabagisme ;
– 130 produits du tabac, dont près de 2/3 de cigarettes ;
– 39 minutes de visibilité des produits du tabac ;
– 101 personnages vus en train de consommer du tabac et/ou liés à un produit du tabac.
Sur les 15.473 personnages répertoriés dans les 148 fictions analysées (en incluant les personnages principaux, secondaires, les figurants individualisés et non individualisés), ces 101 personnages représentent 0,65% du total des personnages. C’est peu. Toutefois, ce chiffre ne rend pas bien compte du positionnement stratégique des personnages présentant un comportement tabagique dans les 32 fictions CPT. En effet, en étudiant dans ces fictions la proportion de personnages présentant un comportement tabagique pour chaque catégorie de personnage, on note que les produits du tabac se concentrent prioritairement sur les personnages qui ont le plus de visibilité dans le récit : les personnages principaux, puis secondaires, puis les figurants. Ainsi, 22 personnages principaux sur 120 présentent un comportement tabagique, soit 18,33%. Le tabac ne se distribue pas massivement sur tous les personnages, ce qui gonflerait les chiffres, mais il se concentre stratégiquement sur ceux les plus en vue. En outre, ce chiffre de 18,33% se rapproche de la proportion de fumeurs dans la population belge. En effet, selon une étude menée en 2015 par GFK pour la Fondation contre le cancer : « 20 % des Belges admettent fumer, avec une large majorité de fumeurs belges qui fument chaque jour (17 % des Belges) »[1]. Dans l’« Enquête de santé » de l’Institut Scientifique de Santé Publique menée deux ans plus tôt (2013), on dénombre 23% de fumeurs parmi les personnes âgées de 15 ans et plus, dont 19% de fumeurs quotidiens et 4% de fumeurs occasionnels[2].
Les caractéristiques de sexe, d’âge et d’origine perçue du personnage fumeur concordent avec ce que l’on observe à l’écran de manière générale[3] : les hommes, les 19-34 ans et les personnes vues comme « blanches » sont très largement majoritaires voire surreprésentés. Si les hommes sont plus souvent fumeurs que les femmes dans la population[4], leur proportion dans les fictions CPT est écrasante : 79,21% des personnages présentant un comportement tabagique sont de sexe masculin. De la même manière, si la tranche d’âge des jeunes adultes (jusque 34 ans) est bien représentée dans la population de fumeurs, elle atteint presque 37% à l’écran[5]. Il y a une forme de distorsion entre l’écran et la population, qui vaut aussi pour la mise en scène du tabac.
S’agissant des caractéristiques comportementales des personnages présentant un comportement tabagique, 67,30% d’entre eux sont associés à un trait de caractère généralement perçu comme positif : le personnage est sûr de lui (42,31%), déterminé (13,46%), calme (7,69%) ou encore réfléchi et rusé. Parmi les traits de caractère perçus comme négatifs, c’est la nervosité qui est associée au premier chef au tabac (17,31%). En outre, il est intéressant de combiner ces traits de caractère avec le contexte dans lequel se déroule la scène de tabagisme. La plupart des 105 scènes de tabagisme se passe dans un contexte de pouvoir marqué par un rapport d’autorité ou de force (36 scènes, soit 34,29%) et dans une atmosphère perçue comme négative ou pesante – tension, aliénation, manque, violence, affrontement, défaite – (60 scènes, soit 57,14%). Deux « prototypes » de personnage présentant un comportement tabagique traversent donc une vaste partie de notre corpus : face à un contexte de rapport de pouvoir où l’atmosphère est pesante, le personnage fumeur ou lié au tabac fait preuve d’assurance et de détermination ou alors il est nerveux/anxieux. Dans ce dernier cas de figure, il semble allumer une cigarette comme pour se « décharger » d’une tension. L’association des scènes de tabagisme à une atmosphère que l’on perçoit comme positive ou à une action relevant du « plaisir » n’est pas prépondérante dans notre corpus. Ce type d’association représente respectivement 17,14% et 14,29% des 105 scènes de tabagisme. S’agissant du rôle actanciel des personnages présentant un comportement tabagique, ils se concentrent sur les axes du désir et du pouvoir : 38,46% d’entre eux sont les sujets de la quête, 28,85% en sont les opposants et 26,92% les adjuvants.
Enfin, fumer reste une activité sociale puisque dans seulement 24 scènes sur 105 (22,86%) les personnages consomment seuls des produits du tabac tout en étant seuls à l’écran. Les scènes de tabagisme se déroulent prioritairement dans des lieux qui relèvent de l’ordinaire et de la vie quotidienne : « à la maison » (22,86%) et « dehors en ville (rue, parking…) » (23,81%). Le tabagisme est largement associé à des habitats fermés – urbains (67,33%).
Placement de produit et placement de thème
L’article 1er, 30°, du décret coordonné sur les services de médias audiovisuels définit le placement de produit comme suit : « insertion d’un produit, d’un service ou de leur marque, ou référence à ce produit, ce service ou à leur marque, dans un programme, moyennant paiement ou autre contrepartie ». Le législateur de la Communauté française considère toute insertion d’un produit dans un programme en contrepartie de la fourniture gratuite de ce produit comme du placement de produit. La recommandation du CSA du 17 décembre 2009 qualifie cette catégorie de placement de produit dont le champ d’application est plus large, comme du « placement d’accessoire ».
D’un point de vue marketing, le placement de produit se caractérise par une tentative de persuasion commerciale plus « implicite » alors que l’attention du consommateur n’est pas focalisée sur les stimulis marketings[6]. Des recherches ont montré que « ces contenus publicitaires perçus dans un contexte de ‘’faible attention’’ sont traités à un niveau plus inconscient et ont un impact sur les jugements et comportements du consommateur (Courbet, D., Borde, A., Intartaglia, J., Denis, S., 2004 ; Courbet, D., Fourquet-Courbet, M. P., Intartaglia, J., 2008 ; Courbet, D., Fourquet-Courbet, M. P., Kazan, R., Intartaglia, J., 2013) » [7]. Des travaux scientifiques ont été réalisés pour évaluer spécifiquement l’efficacité du placement de produit au sein des films. Comme le rappellent Karine Gallopel-Morvan et ses collègues, « cette technique publicitaire a une incidence positive sur la mémorisation, l’attitude par rapport à une marque et par suite sur les intentions d’achat des consommateurs[8] ». Ce processus de persuasion se produit soit de manière consciente soit manière inconsciente. Dans ce dernier cas de figure, le placement de produit permet d’améliorer les jugements affectifs à l’égard d’une marque même si le spectateur ne lui a pas porté consciemment attention[9].
Pour Rubbo et Berneman, s’il y a dans les films « une évolution significative de la pratique du placement de produit[10] », c’est au niveau qualitatif et non quantitatif. En effet, c’est ce qui ressort de leur analyse de contenu de films américains de 1985 à 2001. Ils remarquent qu’entre 1997 et 2001, on assiste à une diminution quantitative des placements de produits et à une augmentation qualitative. Ceci indique selon les auteurs que le placement de produit « semble avoir atteint un certain stade de maturité[11] », où « placer sa marque dans un film n’est plus suffisant, on se soucie plus du contexte, des caractéristiques et du rôle du placement[12] ».
La pratique du « placement de thème » interroge aussi les fictions étudiées dans le cadre de la présente étude. Le placement de thème est une pratique consistant à adapter l’intrigue ou les dialogues d’un programme de façon à inclure ou à mentionner un produit, un service ou une marque. Il y a un risque d’influence indue de l’annonceur sur le contenu s’il s’approprie tout ou partie des étapes de production du contenu[13].
S’agissant du corpus de fictions étudié dans le cadre de la présente étude, il est complexe d’affirmer avec certitude, en se fondant sur le seul visionnage du contenu, qu’une fiction recense un placement de produit ou de thème clandestin pour un produit dont la communication commerciale est interdite. Cependant, un faisceau d’indices permet de soulever des questions sur certaines scènes. Ces indices sont : la visibilité de la marque, l’échelle des plans et la durée des plans, la valorisation/dévalorisation du produit. Ainsi, parmi les 32 fictions CPT, les fictions suivantes soulèvent plus particulièrement des questions par rapport à la nécessité d’une mise en valeur fort appuyée des produits du tabac dans certaines scènes.
La première fiction est The place beyond the pines. En effet, tout au long du film, Ryan Gosling s’affiche avec une cigarette au coin de la bouche. Même s’il n’y a pas de marque clairement identifiée, on observe, d’un côté, une valorisation du produit du fait de son association au personnage de Luke, « bad boy » dur mais sentimental, et d’un autre côté, une visibilité importante de la cigarette. Elle figure au premier plan de beaucoup de scènes, avec un certain nombre de gros plans (18 occurrences). Au personnage de Luke, il faut aussi ajouter 4 autres fumeurs, dont 3 personnages importants, et des scènes offrant une visibilité des produits du tabac pendant une période totalisant 8 minutes et 42 secondes.
Dans Sang pour sang extrême, la cigarette est associée au personnage féminin de la « méchante sexy ». En effet, celle-ci n’apparaît jamais sans sa cigarette dans son porte-cigarette et sans ses robes très décolletées. Il n’y a pas de visibilité d’une quelconque marque. Néanmoins, on a une présence conséquente de la cigarette à l’écran (5 minutes et 7 secondes, 10 gros plans), attestant d’une volonté affirmée de lui accorder des vertus valorisantes et de l’associer à la séduction.
Dans la série American horror story, la cigarette semble agir comme un élément définissant l’ambiance de la scène – un « ambianceur » – qui s’ajoute à l’atmosphère angoissante de la série. Néanmoins, la cigarette apparaît comme centrale. Elle est associée à des personnages stressés mais sûrs d’eux, méchants ou non. Elle est souvent filmée en gros plan (12 occurrences) lorsqu’elle est allumée et apparaît pendant 5 minutes et 5 secondes sur deux épisodes. Loin d’être dévalorisée, la cigarette apparaît comme un impératif de survie, un mécanisme d’adaptation à la réalité.
Dans The strain, la cigarette, et surtout les paquets de cigarettes, jouent un rôle central dans le récit. En effet, pendant tout l’épisode, un jeune personnage s’en va à la recherche de cigarettes pour une dame âgée. Celle-ci ne parle d’ailleurs que de ses cigarettes : du fait qu’elle va en manquer ou qu’elle est en manque, etc. Les paquets sont aussi assez présents à l’écran, avec une claire visibilité (on retrouve la « marque » Morley, marque inventée qui se retrouve dans d’autres séries comme The Walking dead, X-files, etc.) et plusieurs gros plans (4 occurrences). Il est aussi intéressant de constater que, sur 6 scènes, la dame âgée ne sera vue qu’une seule fois en train de fumer.
Dans Breaking bad, on retrouve de nouveau la cigarette comme personnage à part entière. En effet, Jesse Pinkman fume des cigarettes Wilmington, marque inventée pour la série, et détient un paquet dans lequel il entrepose une dose de poison qu’il destine à un de ses ennemis. Au cours de l’épisode, il devra faire un choix crucial : s’enfuir et changer d’identité pour sauver sa peau, ou rester et faire face. Alors qu’il est sur le point de céder à la tentation de la fuite, son paquet de cigarettes lui rappellera qu’il a une « mission » à accomplir. La cigarette, en général très présente dans la série qui tourne autour de la production et de la vente de drogue, adopte pour certains personnages un sens plus profond, qui la personnifie presque. Les produits du tabac apparaissent pendant 1 minute et 12 secondes et figurent sur 5 gros plans.
Dans Lucifer, la présence de tabac est encore plus intrigante : le personnage principal, Lucifer, passe 3 minutes, assis à son piano, sur le dessus duquel se trouvent déposés un verre de whisky ainsi qu’un cendrier avec une cigarette se consumant toute seule. Alors qu’on aperçoit la fumée de tabac, pour un total d’une minute seize secondes et à travers une dizaine de plans (dont 2 gros plans), il n’y touchera jamais. On a donc ici une présence de la cigarette comme élément d’ambiance d’un décor un peu feutré, avec lumière tamisée, musique et alcool.
Enfin, dans Jezabel, web série relatant la vie d’une jeune musicienne muette, la cigarette est présente aux côtés de sa marque. En effet, on retrouve, dans les premières minutes du premier épisode (sur 3 épisodes répertoriés dans notre corpus), un gros plan sur un paquet de Marlboro, aux côtés d’un cendrier rempli de mégots et de pages roulées en boule. Jezabel donne l’impression d’être une artiste vivant le « syndrome de la page blanche ». En manque d’inspiration, elle fume un joint en regardant au loin vers la mer. La durée de visibilité des produits du tabac est de 43 secondes. Notons que les produits du tabac sont également présents dans d’autres épisodes de la série hors de notre corpus.
Ainsi, dans chacune des fictions citées ci-dessus, on retrouve des scènes contenant des produits du tabac qui soulèvent un certain nombre de questions eu égard à certains indices : visibilité d’une marque, échelle des plans, durée de visibilité mais aussi mise en avant du côté valorisant, du rôle de soutien ou de séduction du tabac.
Enjeux régulatoires
Environ une fiction sur cinq (21,62%) diffusée sur les 8 chaînes analysées au cours de la période du 30 janvier au 5 février 2017 comporte au moins un produit du tabac et/ou comportement tabagique. Cela recouvre 105 scènes de tabagisme et une présence de 130 produits du tabac.
Ces résultats portent sur un échantillon relativement restreint de fictions (148). Qui plus est, cet échantillon est hétérogène en termes de genre : il intègre des fictions cinématographiques mais aussi des téléfilms, des séries, des mini-séries, etc. qui répondent à des modalités de construction différentes. L’objectif n’était pas ici d’explorer un genre en particulier mais d’avoir un aperçu de ce que l’on voit à l’écran le soir en une semaine. Eu égard à ces limites méthodologiques, les résultats doivent être interprétés avec précaution. Néanmoins, ils soulèvent des questions et hypothèses intéressantes.
La question de la présence des produits du tabac dans les fictions cinématographiques et télévisuelles met en tension plusieurs enjeux : la santé publique, la liberté scénaristique ou de création, la protection des consommateurs et la protection des mineurs.
Il y a d’abord une problématique de santé publique. Bien que cette dernière ne relève pas des prérogatives du CSA, il convient de souligner, à la suite de Polansky J. R. et ses collègues, que de nombreuses études scientifiques mettent en exergue un lien entre l’exposition au tabac à l’écran et le comportement tabagique des adolescents : « In 2012, after reviewing the scientific evidence, the US Surgeon General concluded that exposure to smoking on screen causes kids to smoke »[14]. Le rapport de l’OMS « Smoke-Free Movies: From Evidence to Action » souligne à cet égard la robustesse et la cohérence des résultats des enquêtes de population : « Therefore, the association between exposure to film smoking is remarkably consistent in studies with different designs, different mixes of potentially confounding variables, in widely diverse adolescent populations and regardless of whether the exposure represents Hollywood, Bollywood or other national film stars. The strength and robustness of the association between film smoking and adolescent smoking makes it a risk factor comparable to smoking by peers »[15].
Ensuite, la présence du tabac dans les fictions cinématographiques et télévisuelles soulève la question des éventuelles « nécessités scénaristiques ». Dans un contexte d’interdiction générale relative à la publicité pour les produits du tabac, il paraît cohérent d’interroger la nécessité de la présence du tabac dans un scénario. Cette question est complexe. Comment faire la part entre ce qui relève des nécessités du scénario et ce qui se rapporte à des tentatives de persuasion commerciale implicites ? En effet, s’il est bien réalisé, un placement de produit (ou de thème) s’intègre « naturellement » dans le scénario. C’est le propre de la communication commerciale qui active des mécanismes implicites de persuasion. La jurisprudence du CSA a établi un certain nombre de balises en matière de placement de produit qui amènent à réfléchir sur cette démarcation entre les nécessités éditoriales et commerciales : y-a-t-il eu paiement ou autre contrepartie ? L’influence de l’annonceur a-t-elle été proéminente à l’une ou à chacune des étapes de la production et/ou de l’exploitation du programme ? Comment le produit est-il mis en avant (Y-a-t-il complaisance envers le produit ou la marque ? Quelle est leur fréquence d’apparition ou de citation ? Quel est le cadrage et la mise en scène des plans ?) ? Ces différents éléments peuvent en effet donner au produit un effet de proéminence[16]. Toutefois, il faut garder à l’esprit que la problématique de « la preuve » est inhérente à tout placement de produit. En effet, si un faisceau d’indices peut indiquer sa présence, il n’est généralement pas totalement détectable à l’œil nu. Et l’interdiction de publicité pour les produits du tabac renforce la complexité de ce problème. A cette difficulté vient s’adjoindre la complexité de la chaîne de production-diffusion audiovisuelle. A quel moment dans la chaîne les placements de produits sont-ils négociés ? Est-ce que les différents maillons de la chaîne, dont les éditeurs, sont au courant ? La question d’éventuels placements de produits du tabac soulève donc des questions très complexes relatives à la protection des consommateurs.
Enfin, la présence du tabac dans les fictions concerne la protection des mineurs. Comme l’ont attesté de nombreuses études, les jeunes et les mineurs sont au cœur des stratégies marketing des entreprises du tabac[17]. Qui plus est, les fictions contenant des produits du tabac ou des comportements tabagiques sont accessibles à un jeune public. Comme nous l’avons mentionné en introduction, Polansky J. R. et ses collègues ont analysé les fictions « domestiques » américaines de 2002 à 2015 qui se situent parmi le top 10 du box-office après leur sortie. Ils ont montré que la proportion de fictions relevant de la signalétique G, PG et PG-13[18] et contenant des images du tabac est passée de 65% à 38%. Cependant, en 2015 presque la moitié des fictions relevant de la signalétique PG-13 (47%) contient des images du tabac[19]. Ces constats recoupent ceux que nous avons effectués. Dans notre corpus, 11 fictions classées tous publics sur 81 présentent un produit du tabac et/ou un comportement tabagique (13,58%) ; c’est le cas pour 11 fictions déconseillées aux moins de 10 ans sur 45 (24,44%), 8 fictions déconseillées aux moins de 12 ans sur 20 (40%) et 2 fictions déconseillées aux moins de 16 ans sur 2 (100%). Les images des produits du tabac sont donc accessibles à un large public de jeunes, bien que la fréquence d’apparition du tabac augmente avec la signalétique. La signalétique relative à la protection des mineurs dans les films qui contiennent des produits du tabac est donc au cœur du débat.
Des recommandations aux pouvoirs publics sur cette question ont été formulées par diverses Institutions :
– en 2014, le Surgeon General des Etats-Unis rapportait que classifier à l’avenir « pour adultes » les films comportant des scènes de tabagisme permettrait de réduire de 18% les taux de tabagisme chez les jeunes aux Etats-Unis[20] ;
– En 2016, suite à la publication de la troisième édition du rapport « Smoke-Free Movies », l’OMS recommandait parmi un ensemble de mesures la « classification selon l’âge des films où apparaissent des produits du tabac, dans le but de réduire globalement l’exposition de la jeunesse à de telles images »[21].
En Fédération Wallonie-Bruxelles, l’article 9, 2°, du décret coordonné sur les services de médias audiovisuels dispose que :
« La RTBF et les éditeurs de services soumis au présent décret ne peuvent éditer :
(…)
2° des programmes susceptibles de nuire gravement à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs, notamment des programmes comprenant des scènes de pornographie ou de violence gratuite. (…) »
L’Arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 21 février 2013 « relatif à la protection des mineurs contre les programmes télévisuels susceptibles de nuire à leur épanouissement physique, mental ou moral » définit dans son article 1er §1 cinq catégories de signalétique jeunesse. Tout éditeur de services doit donc procéder à une classification de ses programmes selon ces catégories :
« 1° catégorie 1 : programmes tous publics ;
2° catégorie 2 : programmes déconseillés aux mineurs de moins de 10 ans dès lors qu'ils comportent certaines scènes susceptibles de nuire à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs de moins de 10 ans ;
3° catégorie 3 : programmes déconseillés aux mineurs de moins de 12 ans dès lors qu'ils sont susceptibles de nuire à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs de moins de 12 ans, notamment lorsque le scénario recourt de façon répétée à la violence physique ou psychologique ;
4° catégorie 4 : programmes déconseillés aux mineurs de moins de 16 ans dès lors qu'ils sont susceptibles de nuire à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs de moins de seize ans, notamment lorsqu'ils comprennent des scènes à caractère érotique ou de grande violence ;
5° catégorie 5 : programmes déconseillés aux mineurs dès lors qu'ils sont susceptibles de nuire à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs, notamment lorsqu'ils comprennent des scènes à caractère pornographique ou de très grande violence ».
En l’état actuel, la signalétique relative à la protection des mineurs vise donc à protéger ces derniers des scènes susceptibles de nuire à leur épanouissement physique, mental ou moral eu égard à leur violence ou à la présence de scènes à caractère sexuel. Serait-il pertinent d’intégrer la question du tabagisme à ces critères ? La question est complexe et soulève d’autres questions connexes : comment mesurer la présence de tabagisme à l’écran ? Que faire des biographies portant sur des personnages fumeurs ou des documentaires contenant une présence de tabac ? Quelle catégorie de signalétique apposer ? Déconseiller à certaines catégories de mineurs des programmes présentant des comportements tabagiques pourrait constituer un levier théorique pour dissuader d’insérer du tabac dans les fictions car les producteurs préfèrent logiquement avoir une assise de public la plus large possible. Par ailleurs, pourrait-on imaginer d’apposer une signalétique spécifique relative à la présence de produits du tabac ?
La question du tabagisme ouvre en outre sur une réflexion plus large relative aux autres comportements à risque. En effet, que fait-on de la présence d’autres comportements à risque dans les programmes (l’usage de drogue, la question du suicide, etc.) ? Si elles devaient être débattues, toutes ces questions s’inséreraient idéalement dans une dynamique de co-régulation, associant le régulateur aux acteurs du secteur audiovisuel.
Enfin, dans notre corpus, la plupart des fictions sont étrangères. Toutefois, Box 27 et Jezabel coproduites par la RTBF comportent des personnages présentant des comportements tabagiques. Une marque de produit du tabac est identifiable dans Jezabel. En dehors du corpus, La Trêve, fiction du Fonds séries RTBF-FWB comporte également des personnages présentant un comportement tabagique. Ainsi, au-delà de la question de la signalétique, c’est celle du financement par des fonds publics d’œuvres contenant des produits du tabac qui pourrait être explorée.
Ces conclusions soulèvent donc des enjeux régulatoires multiples ainsi que de nouvelles perspectives de recherche : plusieurs recherches ont porté sur la fiction cinématographique, mais qu’en est-il pour les séries ? Qu’en est-il pour les films et/ou séries spécifiquement (co-)produits en Fédération Wallonie-Bruxelles, etc. ?
[1] GFK, Le comportement des fumeurs en Belgique – 2015. http://www.cancer.be/sites/default/files/fondation_contre_le_cancer_-_comportement_des_fumeurs_2015.pdf
[2] Gisle, L., « La consommation de tabac », in Gisle, L., Demarest, S. (éd.), Enquête de santé 2013. Rapport 2 : Comportements de santé et style de vie. WIV-ISP, Bruxelles, 2014, p. 173.
[3] Sur la base des chiffres du Baromètre Diversité-Egalité – 2013 du CSA pour les variables sexe, âge et origine perçue.
[4] GFK, Le comportement des fumeurs en Belgique – 2015, op. cit. ; Gisle L., « La consommation de tabac », op. cit.
[5] Dans l’Enquête de Santé 2013 de l’Institut Scientifique de Santé Publique, 21,8% des 15-24 ans et 26,2% des 25-34 ans fume (quotidiennement ou occasionnellement). Op. cit., p. 213.
[6] Intartaglia J., Expertise publicitaire à partir des résultats de l’Observatoire des stratégies marketing pour les produits du tabac, septembre 2014, p. 7.
[7] Ibidem.
[8] Gallopel-Morvan, K. et. al., « Le placement des produits du tabac dans les films », op. cit., p. 82
[9] Idem, p. 83
[10] Rubbo, N., Berneman, C., « La pratique du placement de produit dans le cinéma américain. Une analyse de contenu de films entre 1985 et 2001 », p. 18. http://leg2.u-bourgogne.fr/CERMAB/z-outils/documents/actesJRMB/JRMB09-2004/rubbo.PDF
[11] Idem, p. 19
[12] Ibidem.
[13] Collège d’Autorisation et de Contrôle, Décision du 1er juillet 2010, p. 3.
[14] Polansky, J., R., Titus, K., Ateyeva, R., Glantz, S., A., « Smoking in top-grossing US movies. 2015 », April 2016, p. 3. Les auteurs font référence à la revue de la littérature dressée dans le rapport suivant : US Department of Health and Human Services. Preventing tobacco use among youth and young adults: A report of the Surgeon General. Atlanta, GA: U.S. Department of Health and Human Services, Centers for Disease Control and Prevention, National Center for Chronic Disease Prevention and Health Promotion, Office on Smoking and Health. 2012. Available at www.surgeongeneral.gov/library/reports/preventing-youth-tobacco-use/
[15] World Health Organization, Smoke-Free Movies: From Evidence to Action, op. cit. p. 14.
[16] Voyez notamment : Collège d’autorisation et de contrôle : décision du 2 juillet 2009, décision du 1er juillet 2010, décision du 17 janvier 2013.
[17] Gallopel-Morvan, K. et. al., « Le placement des produits du tabac dans les films », op. cit., pp. 81-82.
[18] Pour rappel : G = General audience : all ages admitted ; PG = Parental guidance suggested : some material may not be suitable for children; PG-13 = Parents strongly cautioned : some material may not be suitable for children under 13.
[19] Polansky, J., R., Titus, K., Ateyeva, R., Glantz, S., A., « Smoking in top-grossing US movies. 2015 », April 2016, p. 5.
[20] Idem, p. 3.
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