La 13ème réunion plénière de l’ERGA – l’association des régulateurs européens – a permis au CSA belge de présenter les premiers résultats de l’enquête européenne sur l’impact du Covid-19 au niveau des médias.

Les régulateurs européens ont également adopté, à l’unanimité, une position commune sur le projet de Digital Services Act (DSA), que la Commission européenne présentera d’ici à la fin de l’année et qui proposera notamment de nouvelles règles pour la régulation des plateformes de contenus en ligne. Un enjeu important pour la régulation des médias à l’échelle européenne, notamment dans un contexte de crise qui a mis en exergue le rôle fondamental des médias traditionnels, pourtant lourdement affectés par les mesures de confinement.

 

L’impact du Covid-19 sur les médias européens : premiers résultats de l’enquête

 

17 régulateurs européens à ce jour ont participé à l’enquête commune et ont interrogé leur paysage audiovisuel respectif quant à l’impact économique de la crise sur le secteur, mais aussi les solutions, notamment mises en place par les pouvoirs publics, pour répondre à la crise. Le CSA belge, en charge de la coordination de l’enquête, vient de publier les premiers résultats de l’enquête.

À l’exception des Services de Vidéo à la demande, des vloggeurs et des services OTT qui ont vu leurs bénéfices augmenter durant la crise, l’ensemble du secteur audiovisuel a été sévèrement impacté par la crise du Covid-19. Les pertes économiques atteignent au minimum 25 % et grimpent jusqu’à 80 % dans certains secteurs, en particulier les télévisions et radios commerciales et les chaînes thématiques dédiées au sport.

À l’échelle européenne, les premiers résultats montrent un impact plus marqué sur les médias locaux et régionaux, notamment allemands, français, italiens, portugais, slovènes, lettons et belges. Les conséquences pourraient être radicales pour certains médias. Le régulateur des médias en Slovénie estime quant à lui que 30 à 50 % d’entre eux pourraient disparaitre du marché. La disparition d’une part significative des médias locaux aurait un impact considérable, notamment sur la production et la diffusion des informations locales.

L’industrie du cinéma est également sévèrement touchée par la crise. De manière générale, les médias européens font actuellement face à des problèmes de liquidité à court et moyen termes. Ils considèrent que la pression fiscale, les taxes et les procédures bancaires augmentent leurs difficultés.

Le rapport préliminaire a enfin identifié les solutions concrètes mises en place par les Etats-membres pour répondre à la crise. De manière générale des fonds de soutien directs et/ou indirects ont été dégagés par les Etats-membres auprès d’acteurs variés du secteur audiovisuel. En Lituanie, un fond spécifique visait à garantir la production et la diffusion d’informations de qualité autour de la crise. En Allemagne, un soutien financier direct a été alloué aux artistes et aux créateurs de contenus. Un fond destiné à 126 projets dont 36 télévisions et 90 radios a été dégagé en Irlande, ainsi qu’un soutien de 4,5 millions à l’industrie du cinéma. Des fonds pour soutenir l’emploi dans le secteur culturel ont été dégagés au Portugal, en Italie et en Espagne. Au Portugal toujours, l’Etat a financé des publicités institutionnelles à hauteur de 15 millions durant la crise.

Malgré les mesures diverses mises en place par les Etats-membres, une question demeure. Les mesures envisagées par ces derniers seront-elles suffisantes pour éviter une situation de non-retour auprès de certains pans du secteur ? Pour Bernardo Herman, Directeur des Affaires européennes du CSA, la disparition d’une partie des acteurs locaux serait « une grave menace pour le pluralisme des médias. À l’aube d’un plan de relance historique envisagé par la Commission Européenne, il ne faudrait pas oublier le rôle que jouent les médias, notamment en matière d’information. Voir disparaître les acteurs audiovisuels locaux, c’est prendre le risque de confier la mission fondamentale d’information à quelques-uns. Quand on envisage cette crise sous l’angle des médias, c’est avant tout une question de démocratie. »

 

Tous les acteurs, sur un pied d’égalité

 

Dans la foulée de la présentation des premiers résultats de l’enquête, les membres de l’ERGA ont adopté, à l’unanimité, une série de propositions concrètes adressée à la Commission Européenne. Cette dernière présentera son projet Digital Services Act (DSA) fin 2020 qui devrait imposer de nouvelles obligations aux plateformes de partage de contenus. Au regard de la crise, l’adoption d’une position commune des régulateurs européens concernant les règles futures adressées aux plateformes de partage de contenus aura le mérite de pointer des enjeux de taille.

Aujourd’hui,  le principe d’un rôle passif des plateformes par rapport au contenu qu’elles hébergent est devenu obsolète. Au contraire, ces plateformes se révèlent extrêmement actives en organisant le contenu qu’elles promeuvent, en faisant des recommandations ou en gérant la publicité autour de ces contenus. Ces plateformes disposent désormais de puissants algorithmes qui orientent la visibilité de tel ou tel contenu auprès des utlisateur.trice.s.

 

La place qu’occupent ces plateformes au sein du paysage audiovisuel à l’échelle mondiale est telle, que les enjeux de demain en matière de lutte contre les discours haineux, les fake news et le pluralisme, leur sont en grande partie dédiés. Jusqu’à présent, le système établi pour contrôler ces plateformes relève pour une trop grande part de l’autorégulation. Les régulateurs estiment aujourd’hui que cette approche est insuffisante. Ces acteurs fonctionnent principalement de manière « réactive » pour contrôler les contenus diffusés sur leurs plateformes: ils attendent une notification négative des utilisateurs ou via leurs systèmes d’intelligence artificielle pour retirer les contenus illégaux. Cette méthode leur permet de ne rien devoir anticiper pour prévenir la propagation de contenus illégaux.

 

L’ERGA appelle la Commission Européenne à « adapter le régime de responsabilité » des plateformes en ligne. Il doit correspondre à leur rôle, notamment en matière de désinformation. En outre, les régulateurs européens recommandent d’étendre leur compétence à toute forme de contenus sans distinction entre les contenus purement audiovisuels et les contenus sous formes de texte ou audio notamment. Une telle extension se justifie par la convergence caractérisant l’offre de beaucoup de plateformes mêlant des contenus de types différents. Ainsi des plateformes comme Facebook, Twitch ou YouTube proposent des contenus mêlant le texte et la vidéo. Vu le risque que ces autres formes de contenus portent atteinte à des valeurs fondamentales comme la non-discrimination ou influencent l’opinion des citoyens, il paraît logique de ne pas limiter la protection régulatoire aux seuls contenus audiovisuels.   En ce sens, l’ERGA recommande de forcer les plateformes à mettre en place des « dispositifs en amont » permettant de réduire la diffusion de contenus illégaux et de considérer les plateformes responsables, dès lors que ces dispositifs ne seraient pas mis en œuvre.

Pour mener à bien le contrôle des plateformes, le « renforcement de la coopération » entre autorités de régulation nationales fait aussi partie des propositions clefs de l’ERGA. Il s’agirait de mettre en place une nouvelle architecture de cette coopération pour permettre aux régulateurs nationaux d’entreprendre des actions communes à l’égard des principales plateformes de contenus en ligne, et dans le respect des principes fondateurs du marché unique du numérique, dont le principe du pays d’origine.

Pour Karim Ibourki, Président du CSA et Vice-Président de l’ERGA « la crise actuelle cristallise les inégalités entre les acteurs audiovisuels. Elle met en lumière la fragilité d’un secteur local pourtant essentiel à l’équilibre démocratique de nos sociétés et illustre la disparité de situation régulatoire et économique entre les acteurs historiques et les plateformes. Les premiers acteurs sont contraints de respecter des règles, les seconds échappent à de nombreuses obligations. Les premiers ont pour mission d’informer les citoyen.ne.s, surtout en temps de crise, jusqu’ici les seconds  ne sont pas responsables des contenus haineux et des fake news qui prolifèrent sur leurs plateformes. Les premiers voient leurs revenus baisser depuis des années et plus encore durant la crise, les seconds occupent désormais une place dominante, notamment en matière de diffusion et d’accès à l’information. Il est grand temps que ces acteurs soient placés devant leur responsabilité. Nous espérons que le Digital Services Act permettra de répondre à cette nécessité ».

 Pour discuter de ces enjeux, le CSA organise un webinaire le 1er juillet prochain entre 12 et 14h. Ce sera l’occasion de questionner des experts en la matière dont le professeur Mark Cole de l’université du Luxembourg ainsi que des représentants des autorités de régulation allemandes et françaises sans oublier le CSA belge.

 

L’ERGA, en quelques mots

Le Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (ERGA) réunit les présidents et/ou représentants de haut niveau des autorités de régulation nationales de l’audiovisuel. Conformément à son statut, l’ERGA assiste la Commission européenne pour assurer une mise en œuvre cohérente de la directive sur les services de médias audiovisuels (directive SMA). Il la conseille également sur toute autre question liée aux services de médias audiovisuels relevant de sa compétence. En outre, l’ERGA a pour objectif de faciliter la coopération entre ses membres et favoriser l’échange d’informations, d’expériences, et de bonnes pratiques de régulation. 

 

Consulter les communiqués de l’ERGA :

 

13eme plénière de l’ERGA_adoption d’une position commune relative au projet Digital Services Act

13eme plénière de l’ERGA_les régulateurs se penchent sur leur avenir

Conclusion générale de l’étude_Impact Covid19 sur les médias européens