Illustration : décision CSA Sketch Grand Cactus

 

À la suite de la diffusion du sketch « 128e sexe » dans l’émission Le Grand Cactus de la RTBF, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a rendu sa décision concernant les plaintes reçues et les griefs soulevés quant au respect, par la RTBF, de la législation audiovisuelle en matière de discriminations ainsi que des valeurs et responsabilités qui sont les siennes en tant qu’éditeur de service public. Cette décision a été rendue après consultation de l’Institut pour l’Egalité entre les Femmes et les Hommes et après avoir entendu les arguments de la RTBF en audition publique.   

Le Collège d’autorisation et de contrôle du CSA ne constate pas de violation du droit audiovisuel dans le cadre de la diffusion du sketch incriminé sur son antenne mais néanmoins pointe une erreur de jugement dans le chef de la RTBF quant à la diffusion décontextualisée sur les réseaux sociaux 

Elle aurait dû anticiper le fait que cette séquence, telle que diffusée sur les réseaux sociaux, puisse être perçue comme offensante pour une partie du public et entraîner une mauvaise interprétation et une récupération à des fins malveillantes.  

Cela étant, singulièrement dans le cadre d’un programme à vocation humoristique, le CSA a considéré que cette erreur n’équivalait pas à une discrimination ou à une violation, par la RTBF, des obligations spécifiques qui lui incombent en tant qu’éditeur de service public. Le Collège n’a donc pas constaté d’infraction dans le chef de la RTBF.  

 

Humour et discriminations 

 

Le sketch, diffusé le 19 septembre 2024, en version complète sur TIPIK et Auvio, puis en version raccourcie sur les réseaux sociaux, a suscité de nombreuses réactions. Une partie du public a dénoncé un contenu transphobe, accusant la séquence de renforcer les stéréotypes visant les personnes transgenres et non binaires. Dans sa décision, le CSA rappelle que ces personnes, déjà exposées à des formes récurrentes de discrimination et de violence, doivent faire l’objet d’une attention particulière de la part des éditeurs. Le premier élément d’analyse du CSA s’est porté sur les règles en matière de discrimination dans les programmes.  

Dans la législation audiovisuelle, l’élément intentionnel n’est pas nécessaire pour considérer qu’un programme est discriminant. Le simple fait de « comporter » des éléments discriminatoires est répréhensible dans un programme.  

Dans un premier temps, après analyse, le Collège a considéré que les critères jurisprudentiels déjà utilisés pour identifier un programme contenant des discriminations étaient remplis dans le cas présent. En effet, d’une part, la séquence litigieuse relayait un stéréotype existant au sujet des personnes transgenres et non binaires, à savoir le fait que leurs affirmations identitaires constitueraient des caprices et une marque d’instabilité. Et d’autre part, elle véhiculait l’idée que ces personnes, contrairement aux personnes cisgenres, n’auraient pas à revendiquer leur identité et que, dans l’hypothèse où elles le feraient, il serait en quelque sorte justifié de les discriminer, voire de les traiter de manière haineuse et violente. 

Dans un second temps, le Collège a apprécié un élément essentiel qui distingue le programme des cas précédents sur lesquels il avait fondé sa jurisprudence. Il s’agit du caractère humoristique de la séquence concernée. Or, en matière de liberté d’expression, l’humour bénéficie d’une protection renforcée. Cela ne signifie pas que tout soit permis au nom de l’humour, mais dans certains cas, des propos qui ne seraient pas admis au premier degré peuvent l’être s’ils sont exprimés dans un cadre humoristique. Les propos humoristiques qui contribuent de manière subversive au débat public (notamment politique), et ceux qui soulignent les caractéristiques d’une personne ou d’une catégorie de personnes mais sans intention de les dénigrer ou de susciter du mépris à leur égard, doivent être protégés.  

En effet, ces propos sont protégés par la liberté d’expression, qui ne peut être limitée que s’il existe un « besoin social impérieux » de le faire.  

Ce critère du « besoin social impérieux » nécessite d’être prudent avant de considérer des propos comme discriminatoires et, donc, de limiter la possibilité pour les éditeurs de les exprimer. En effet, dans une société démocratique, il faut admettre que l’on puisse rire de tout – et même de sujets délicats, pour autant que l’humour ne devienne pas un outil d’exclusion. Une jurisprudence trop stricte en la matière risquerait d’entraîner un phénomène d’autocensure de la part des éditeurs qui n’oseraient plus faire preuve de subversion et d’impertinence, alors que cela est aussi nécessaire en démocratie.  

 

Une erreur de jugement, mais pas une atteinte volontaire aux valeurs et aux missions d’intérêt public de la RTBF  

 

Le second élément d’analyse du CSA concerne le respect, par la RTBF, de ses missions de service public qui lui imposent de refléter la diversité et de lutter contre toutes les formes de discrimination. La RTBF a reconnu que la séquence avait heurté une partie de la communauté LGBTQIA+ et a présenté ses excuses. Elle a également admis un biais dans sa capacité d’anticipation, n’ayant pas perçu les risques d’incompréhension ou de récupération malveillante de la séquence. 

Le CSA confirme ce manque d’anticipation, résultant de biais inconscients liés à une vision cisnormée de la société. Il regrette que ce biais collectif ait empêché l’identification, en amont, du caractère potentiellement offensant de la séquence dans sa version raccourcie et décontextualisée diffusée sur les réseaux sociaux, et de son instrumentalisation subséquente par des internautes malintentionnés. Cette maladresse de « découpage » a – involontairement – mené à ce que la séquence soit utilisée dans une campagne de haine envers la communauté LGBTQIA+. La reconnaissance de ce biais, en amont, par l’éditeur, lui aurait permis de comprendre l’importance de contextualiser la séquence et d’éviter ce dérapage allant à l’encontre de ses objectifs d’inclusion et de diversité. En tant que média, et plus encore en tant qu’opérateur de service public, la RTBF se doit de prendre des mesures pour limiter au maximum l’impact des biais personnels et pour anticiper l’impact de la diffusion de ses contenus.  

L’éditeur aurait pu simplement défendre son droit à la liberté d’expression, mais il a en outre immédiatement reconnu l’impact de son programme sur une partie des communautés qu’il a pour mission d’incarner. Il a privilégié une approche de dialogue avec l’ensemble des parties prenantes, y compris avec le CSA, ce qui prouve que la RTBF est non seulement pleinement consciente de ses missions de service public, mais aussi soucieuse de respecter et de renforcer ses valeurs.  

La RTBF a d’ailleurs démontré, à travers sa programmation globale, un engagement constant en faveur de la visibilité positive des minorités, notamment LGBTQIA+. Elle a enfin pris des mesures concrètes à la suite de cet incident : consultation de la communauté concernée, lancement d’une réflexion sur ses pratiques en matière de réseaux sociaux, et engagement à sensibiliser ses équipes sur les enjeux liés à la transidentité. 

Pour ces raisons, le CSA n’a pas constaté d’infraction de la RTBF aux obligations spécifiques qui lui incombent en tant qu’éditeur de service public de lutter contre toutes formes de discrimination et d’être le reflet d’une société inclusive.  

Il a salué sa gestion de crise, à court et à long terme, qui est celle attendue d’un média confronté à une telle situation. Il suivra avec attention la mise en œuvre des engagements pris par la RTBF, tant en matière de diversité interne que de diffusion sur les réseaux. 

 

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