
Le CSA reçoit chaque année l’administrateur général de la RTBF. Ce 20 novembre restera indéniablement un moment symbolique, puisqu’il s’agit de la dernière audition de Jean-Paul Philippot en tant qu’administrateur général de la RTBF. Fonction qu’il occupe depuis 2002.
Cette audition est l’occasion de faire le bilan de la RTBF sur les projets menés pour ses publics, les enjeux qui en découlent et la vision du plus grand éditeur audiovisuel public en Fédération Wallonie-Bruxelles. Dans un contexte de coupes budgétaires, d’attentes importantes des publics à l’encontre de l’éditeur et de vagues d’impacts amenées par les crises multiples, la concentration du marché et la concurrence des plateformes et des réseaux sociaux, la stratégie à court terme 2025 et 2026, mais aussi la vision à long terme de la RTBF semble cruciale.
Jean-Paul Philippot s’est attardé sur les défis du paysage audiovisuel et les missions des médias publics aujourd’hui mises sous tension, voire compromises dans un environnement où 25% de la population s’éloigne de l’information et où YouTube, qui ne propose que 1% d’information, dépasse désormais la consommation télévisuelle. Il a tenu également à défendre l’importance et la place de l’information locale qui répond aujourd’hui à une forte demande des citoyens.
Avant de passer le flambeau, l’administrateur général rappelle que 93% des Belges francophones sont en contact avec un contenu de la RTBF chaque semaine. Il plaide pour ne pas céder au jeu des plateformes internationales. La RTBF a développé ses propres plateformes numériques. « Aujourd’hui, Auvio et Actus touche 28% de la population chaque semaine. Nous visons les 50% en 2030. Notre stratégie n’est pas de proposer nos contenus sur Amazon ou sur Netflix, mais bien d’amener nos publics sur nos propres canaux. Faire le contraire, c’est accepter d’être pied et poings liés aux algorithmes de ces plateformes qui ne favorisent pas la découverte et l’ouverture ».
La régulation protège le secteur et la création locale
Jean-Paul Philippot rappelle aussi le rôle central de la régulation des médias, sur le plan local et européen. Jamais l’Europe n’a autant régulé le paysage audiovisuel que ces dernières années. Pour l’administrateur général, ces cadres fondamentaux représentent aussi une réponse et une protection contre le rouleau compresseur des plateformes étrangères. Des règles qu’il perçoit comme des « opportunités » pour protéger les médias en Europe.
La régulation doit imposer des règles qui protègent les acteurs du paysage. « Chaque année, le secteur audiovisuel belge est mis davantage sous pression » rappelle-t-il. La télévision a perdu 62.000 téléspectateurs sur un an et principalement dans la tranche 25-39 ans qui est la plus attractive pour les annonceurs publicitaires. À cette perte d’audience s’ajoute donc une perte d’attractivité pour les annonceurs. Le reach en télévision baisse chaque année et le scénario envisagé par la RTBF est de toucher 1,4 millions de téléspectateurs à l’horizon 2035, contre plus de 2 millions en 2020. Une analyse qui confirme la nécessité de poursuivre les investissements de l’offre digitale de la RTBF.
L’administrateur général de la RTBF alerte sur les risques majeurs qui pèsent sur le secteur au regard de cette évolution. Les télévisions connectées et l’IPTV illégale qu’il compare à des « poisons pour les médias et la création audiovisuelle en général ». Les télévisions connectées mettent en avant leurs applications sans être soumises à aucune règles. En conséquence, les médias belges passent à la trappe. « C’est la double peine pour notre secteur » déplore-t-il. « Les géants du streaming comme Netflix ou les plateformes comme YouTube dominent déjà le marché, mais en plus ils sont mis en avant sur les téléviseurs connectés au détriment des médias belges. Notre création locale doit être protégée. Ce devrait être une absolue priorité pour les régulateurs d’imposer un bouton d’accès direct aux contenus locaux sur la télécommande ». Il ajoute également le risque majeur désormais bien connu que pèse l’IPTV illégale sur l’économie du secteur.
En 2024, les Gafan ont capté 429 millions d’euros du gâteau marché publicitaire en Fédération Wallonie-Bruxelles, soit 70 millions de plus qu’en 2023. « Il s’agit ni plus ni moins d’une hémorragie nette pour l’économie du secteur ». Même si la consommation en radio reste stable et l’offre digitale de la RTBF même si elle connaît une croissance importante ne permet pas encore aujourd’hui de compenser le recul du linéaire.
En 2024, pour la première fois, les revenus des services de streaming comme YouTube et Netflix ont dépassés ceux des médias publics en Europe. À côté de cette réalité, les publics consomment de plus en plus les réseaux sociaux sont comme source d’information. Il s’agit pour Jean-Paul Philippot d’un enjeu économique pour le secteur, mais qui représente aussi un impact majeur sur la place de l’information dans cet écosystème. Désormais davantage consommé que la télévision, YouTube ne propose que 1% de contenus vidéos d’information son algorithme pousse les internautes vers le divertissement. Environ 70 % du temps de visionnage sur YouTube est déterminé par les recommandations automatisées.
Une vision sur le déploiement numérique
Face à l’érosion de la télévision, la solution de la RTBF se traduit par son déploiement digital. Alors le coût de l’offre éditoriale numérique était de 1,8% en 2018, il est passé à 20,5% en 2024. La RTBF vise à toucher 50% de la population Belge francophone sur ces deux plateformes numériques propriétaires en 2030. Si l’écoute en radio est plutôt stable, elle investit désormais massivement dans la production de podcast. Aujourd’hui l’écoute des podcast « natifs » dépasse celle des contenus diffusés sur antenne et reformatés pour être podcastable. Ils représentent 20 millions d’écoutes en 2025. Sur le top 10 des podcasts les plus écoutés en Fédération Wallonie-Bruxelles, 9 sont produits par la RTBF.
Jean-Paul Philippot rappelle qu’il ne faut pas voir la consommation des médias comme l’extinction d’un canal au profit d’un autre. Le consommateur est aujourd’hui totalement polymorphe. La télévision linéaire garde aujourd’hui tout son sens. « Si l’on décidait aujourd’hui de supprimer notre offre télévisuelle, la RTBF perdrait 20% de ses publics qui ne consomment que de la télévision. Ils existent donc il faut vraiment garder une offre hybride et multiple. À l’inverse, si on ne s’était pas déployé sur le numérique, nous ne toucherions que 8,5% de nos publics qui ne consomment aujourd’hui que sur le digital. ».
Toutes les évolutions doivent être anticipée y compris celles qui semblent moins évidentes. Les voitures autonomes seront certainement la norme d’ici une dizaine d’année et la diffusion de contenus audiovisuels se déplacera aussi dans ces voitures. Le rôle de nos médias est de pouvoir anticiper ces évolutions et de s’assurer d’être présents sur ces nouveaux canaux.
Le lien social et l’info comme priorité absolue
Dans un paysage que Jean-Paul Philippot qualifie d’hautement polarisé, le lien social et l’information sont aujourd’hui, plus qu’hier, une absolue priorité pour les médias publics. Le Forum Economique Mondial de Davos a identifié les trois risquent mondiaux à court terme : la polarisation sociale et politique, la désinformation/mésinformation et le changement climatique extrême. Trois enjeux portés par les médias publics : fédérer, informer et décrypter les enjeux du monde.
Pour chacun de ces risques, les médias et singulièrement les médias publics ont un rôle de premier plan à jouer. La RTBF a mené une étude sur les Belges francophones et a constaté que 25% d’entre-deux s’éloignent de l’information. Ils reconnaissent s’informer moins qu’avant, ou considère l’information comme peu importante. 9% ne s’informent plus qu’une fois par semaine ou moins.
Pour lutter contre ce phénomène de décrochage de l’info, Jean-Paul Philippot pointe notamment l’information locale comme jouant un rôle de premier plan. Lorsqu’on se penche sur ces profils, on constate qu’ils se détournent de l ’information politique, nationale et internationale, mais qu’ils manifestent en revanche beaucoup d’intérêt pour la santé, le bien-être et l’information régionale.
Cet attrait pour l’information locale se manifeste aussi dans les chiffres des audiences de la RTBF sur son site RTBF Actu, puisque les contenus liés à l’information régionale représentent désormais 20,5% du reach mensuel.
« Dans ce contexte de bruit de fond permanent causé par les réseaux sociaux et maintenant par l’IA, je suis convaincu que demain, dans notre mission d’informer, il y aura plus que jamais la mission d’éduquer », conclut Jean-Paul-Philippot.