L’avis du CSA a été sollicité par le Gouvernement dans le cadre d’un projet de réforme de l’article 7 du décret SMA[1]. Cet article fixe des balises en vue de garantir le pluralisme des médias qui composent le paysage audiovisuel belge francophone. Le Collège d’avis du CSA vient d’adopter l’avis sollicité qui traduit l’avis du secteur audiovisuel sur les différentes possibilités de modification du décret ayant fait l’objet de débats au Parlement en novembre dernier (cfr nbp dans l’avis). Tel qu’envisagé, le projet de réforme aurait pour conséquence de permettre aux groupes médias de se concentrer davantage à l’intérieur du paysage audiovisuel belge francophone. Il  renoncerait à l’objectif de pluralisme structurel et donc à l’indépendance et l’autonomie des médias. Enfin, le projet complexifierait et diminuerait le rôle du CSA dans le contrôle du pluralisme des médias. Pour répondre aux questions posées par le Gouvernement, le CSA a réuni le secteur audiovisuel au sein du CAV[2]. Six réunions réunissant le secteur ont permis d’aboutir à un accord sur les réponses transmises au Gouvernement, mais aussi sur l’objectif fondamental du pluralisme que le projet de réforme du décret questionne. À l’exception du Groupe Cobelfra / Inadi, le secteur audiovisuel est favorable à un maintien des balises actuelles qui garantissent le pluralisme des médias en Fédération Wallonie-Bruxelles. Dans la mesure où l’avis du CSA avait été demandé en urgence, son Bureau lui avait adressé une note reprenant les conclusions du groupe de travail

 

 

Le pluralisme des médias aujourd’hui

 

Actuellement, le décret SMA prévoit que le pluralisme des médias est garanti par un contrôle exercé par le CSA. Lorsqu’un groupe média « détient »  plus de 20% des parts d’audience, une procédure d’alerte est enclenchée par le régulateur.  Pour définir ce calcul, le CSA observe l’ensemble des médias dont le groupe en question détient une part du capital. Si la somme des audiences de ces médias dépasse les 20% de part d’audience totale du secteur radio ou télévision, il faut considérer que ce groupe exerce une position significative qui est potentiellement nuisible au pluralisme des médias.

 

La procédure d’alerte du CSA envisage, dans un second temps, les risques potentiels que présenterait la concentration d’un groupe sur « l’offre médiatique » du paysage audiovisuel d’une part (pluralisme de contenu), mais aussi sur l’indépendance des médias d’autre part (pluralisme structurel). D’autres pays européens, tels que la France, l’Italie, l’Espagne ou l’Irlande, ne prévoient pas de procédure d’alerte mais bloquent automatiquement le déploiement d’un groupe média dès qu’il atteint un seuil situé entre 20 et 30% de part d’audience.

 

Au terme de cette procédure, le CSA peut conclure à la nécessité de mettre en place, après concertation, des remèdes. Dans le cas particulier de l’attribution d’autorisation et de fréquences, le CSA peut décider de ne pas attribuer une fréquence supplémentaire à un groupe média exerçant une position significative, si celle-ci conduit à un risque sérieux de mise à mal de l’accès du public à une offre pluraliste.

 

 

La réflexion du secteur autour de la réforme du décret SMA

 

 

Au-delà des questions précises soulevées dans la demande du Gouvernement et axées sur les remèdes, le Collège d’avis a estimé nécessaire de s’exprimer de manière plus générale sur les diverses modifications annoncées lors de débats parlementaires tenus en novembre 2016 sur la question du pluralisme et dans un document de travail contenant diverses hypothèses, qui a circulé à cette occasion.  À l’aube de l’attribution de nouvelles fréquences FM et DAB+ en 2018, les  réformes envisagées sont substantielles et auraient un impact significatif sur  le pluralisme qui représente l’une des pierres angulaires  de la régulation du secteur audiovisuel.

 

Quelles sont les réformes qui pourraient impacter le pluralisme en FWB ?

 

La réforme du décret pourrait rehausser le seuil à partir duquel une procédure d’évaluation du pluralisme est enclenchée, soit passé de 20 à 35%. L’une des questions adressée au CSA par le Gouvernement envisage également de remplacer la notion de « détention du capital » par celle de « contrôle », au sens du Code des sociétés, pour déterminer l’appartenance à un groupe média En pratique, alors qu’une simple détention directe ou indirecte, majoritaire ou minoritaire,  d’une part capital suffit aujourd’hui pour considérer qu’une personne physique morale « détient » un média, il faudrait atteindre, demain, 50% du capital pour considérer que cette personne physique ou morale « contrôle » un média.

Dans le décret actuel, deux ou plusieurs services voient leur audience cumulée pour calculer le seuil de 20 % si leurs éditeurs sont détenus directement ou indirectement, majoritairement ou minoritairement, par une même personne physique ou morale. Dans l’hypothèse où le seuil serait relevé à 35% et si la notion de détention du capital était remplacée par celle de contrôle, deux ou plusieurs services ne verraient leur audience cumulée pour calculer le  seuil – relevé à 35 % – que si leurs éditeurs sont contrôlés par une même personne physique ou morale, au sens du Code des sociétés et possède donc au moins 50% du capital.

Concrètement, au regard de la notion d’influence telle qu’il faut la considérer dans l’actuel décret, ces potentielles réformes autoriseraient les groupes médias à se concentrer « réellement » au-delà des 35%, puisqu’ils pourraient aussi détenir une participation majoritaire, mais inférieure à 50%, à l’intérieur d’une série d’autres médias et cumuler jusqu’à 35% de parts d’audience de médias dont ils contrôlent plus de 50% du capital, sans pour autant déclencher la procédure d’alerte prévue à l’article 7.

 

Les solutions pour pallier aux risques d’atteinte au pluralisme et la réponse du secteur

 

Dans son avis, le CSA examine une série d’hypothèses pour rendre plus concrètes les conséquences de l’enclenchement d’une procédure d’évaluation du pluralisme. Parmi ces hypothèses figure la mise en oeuvre de « remèdes » lorsqu’un groupe média atteint le seuil d’alerte pluralisme dans le cas particulier de l’attribution d’autorisations et de fréquences FM et DAB+. En cas de dépassement de ce seuil, si celle-ci conduit à un risque sérieux de mise à mal de l’accès du public à une offre pluraliste, un groupe média pourrait ne pas se voir interdire d’office l’attribution d’une autorisation ou de nouvelles une fréquence FM. Le CSA pourrait par contre demander au groupe concerné de lui soumettre une série de propositions pour palier au risque d’atteinte  au pluralisme des médias.

 


 

Extrait de l’avis relatif aux remèdes :

La réduction de l’offre

 

En cas de position significative dans le cadre d’une candidature au plan de fréquences, outre l’option de ne pas attribuer le réseau de fréquences sollicité, une option pourrait consister à assigner un autre réseau que celui (ou ceux) faisant l’objet initial de la candidature (ex : un réseau urbain à la place d’un réseau communautaire).

Une autre option pourrait consister à l’attribution d’une place dans un multiplex DAB+ qui pourrait être assignée au lieu d’une fréquence FM.

 

Les remèdes structurels

 

Deux volets composent les remèdes structurels : le premier concerne la structure du capital, telle que la limitation des actionnaires communs à un ou plusieurs éditeurs de radio, de télévision ou de presse ; le renoncement à une part de participation,  ou la cession de parts ; le second, la composition des entités de décision et les mécanisme de droits de vote, tels que la limitation des administrateurs et dirigeants communs dans les organes de gestion dans un ou plusieurs marchés des médias[3] d’une part mais également la garantie et le renforcement de l’indépendance des organes décisionnels (administrateurs et dirigeants, management) d’autre part. 

 

Les remèdes relatifs au pluralisme de contenu

 

Les remèdes de garantie et d’amplification du pluralisme du contenu (en général et d’information) pourraient s’articuler autour de trois axes :

  • l’importance : la quantité de contenu, telle que la valorisation de la quantité de l’offre culturelle, la fréquence et le volume des journaux parlés et des programmes d’information
  • la nature : les caractéristiques du contenu, tels que les publics cibles touchés, les catégories de programmes diffusés, encourageant la participation, l’échange d’idées, la création radiophonique ; pour l’offre musicale, la diversification des formats, l’accentuation des quotas FR et FWB ;  pour l’information, l’importance de l’information locale ou décrochée
  • les conditions de production : les modes de collecte d’informations et de production de contenus, tel que  la limitation de programmation d’émissions communes à d’autres candidats, du recours à des sous-traitants communs aux éditeurs du secteur des médias, aux promotions croisées ou échanges ; Pour les contenus d’information, la  limitation de la mise en commun de journalistes ou chroniqueurs aux rédactions des secteurs des médias ; la limitation aux programmes communs d’information et la limitation aux partenariats entre éditeurs dans les programmes d’information, à savoir les citations, les parrainages ou encore l’échange des chroniqueurs ; l’existence d’une Société des journalistes distincte des autres éditeurs constitue également un remède pour un pluralisme des conditions de production des contenus d’information.

 


 

Le Collège d’avis indique qu’à l’exception du groupe Cobelfra / Inadi, le secteur audiovisuel estime que l’augmentation du seuil de parts d’audience à 35% n’est pas pertinente. Cela d’autant que ce pourcentage représente un seuil d’alerte – et non de blocage – à partir duquel une procédure d’évaluation est enclenchée par le CSA.

 

Une partie du secteur accueille positivement la proposition de mise en œuvre de « remèdes » par le CSA, comme alternative potentielle  à la solution de refuser l’attribution d’une autorisation dans le cas du constat d’une effet de groupe considéré comme « fort » sur le marché.. Ces remèdes permettraient de proposer d’autres solutions que le blocage, ou non, d’un groupe média exposé à une procédure sur fond de pluralisme. Ces remèdes permettraient enfin de clarifier les conséquences, parfois incertaines, d’une procédure d’évaluation du pluralisme lors de l’octroi de nouvelles autorisations et de fréquences en radio FM et DAB+.

 

Une autre partie du secteur estime, quant à elle, que l’application actuelle de l’article 7,  consistant lors de la procédure d’autorisation, à ne pas octroyer l’autorisation à des réseaux supplémentaires à des groupes en position significative pour autant qu’une évaluation établisse que cette position à un impact sérieux sur le pluralisme de l’offre – comme ce fut le cas pour le plan FM 2008 – , reste le seul remède pour éviter de compromettre le pluralisme du paysage audiovisuel belge francophone.

 

Le projet de réforme du décret pourrait mettre fin au pluralisme structurel

 

Dans sa demande d’avis, le Gouvernement semble envisager de renoncer à l’objectif du « pluralisme structurel », ce qui conduirait à supprimer de la définition du pluralisme, et donc de l’objectif recherché, la notion de caractère indépendant et autonome des médias. Dans l’éventualité où cet objectif venait à disparaître, lorsqu’une procédure est enclenchée, le CSA ne serait alors plus en mesure d’évaluer l’impact de la concentration d’un groupe média sur « l’indépendance » et l’ « autonomie » des médias qu’il contrôle, mais devrait se concentrer uniquement sur l’impact potentiel au niveau de la « diversité de l’offre » des médias contrôlés par un groupe.

 

Cette réforme potentielle s’écarte de l’actuelle définition du pluralisme des médias fondée sur le droit européen et qui considère que le pluralisme se mesure autant dans l’indépendance structurelle des médias, que dans la pluralité des contenus qu’ils proposent.

 

À l’exception du groupe Cobelfra / Inadi, l’avis du Collège indique que le secteur n’aperçoit pas les motivations qui justifieraient la suppression de toute référence à « l’indépendance et à l’autonomie » des médias, au titre de critère d’évaluation de la liberté d’accès du public à une offre pluraliste.

 

 

Un projet de réforme potentiellement contraire aux règles européennes et en contraste avec les pays voisins

 

L’augmentation du seuil à 35% pourrait mener à une situation où trois groupes média se partageraient les parts de marché à l’intérieur du paysage radiophonique belge. L’hypothèse de modification des seuils pose enfin question à plusieurs titres.

 

D’une part, elle présente le risque de porter potentiellement atteinte aux règles européennes en matière de concurrence, consacrées aux articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. En particulier, elles pourraient être contrariées par des mesures étatiques entourant l’octroi de ces droits spéciaux ou exclusifs, qui permettraient à leurs bénéficiaires de renforcer leur position dominante en entravant l’entrée de nouveaux opérateurs sur le marché concerné.

 

De même, une telle modification pourrait potentiellement contrevenir au prescrit de l’article 4, §3, du TFUE qui impose « aux États membres de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures, même de nature législative ou réglementaire, susceptibles d’éliminer l’effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises ».  

 

D’autre part, d’une rapide comparaison entre différents droits nationaux européens (France, Espagne, Italie, Irlande, Autriche), il appert que le seuil généralement appliqué se situe entre 20% et 30% de l’audience, mais que lesdits seuils constituent des limites maximales autorisées là où le décret de la FWB n’entend fixer – à 20% – que des seuils d’alerte en vue de déclencher une procédure d’évaluation d’impact, sans que ledit seuil n’ait jamais constitué une limite maximale.

 

 

Le CSA pourrait devoir « justifier » le déclenchement d’une procédure d’alerte sur fond de pluralisme

 

Au rehaussement du seuil d’alerte à 35% et à la mise en place de la notion de « contrôle », s’ajouterait au projet de réforme la suppression de la procédure « automatique » enclenchée par le CSA lorsqu’une situation de position significative par un groupe média est observée. Alors que le déclenchement automatique de cette procédure garantit une égalité de traitement, de la stabilité et de la prévisibilité pour le secteur, le régulateur pourrait être amené à devoir « motiver » l’enclenchement de cette procédure lorsqu’il constate un risque si cette dernière devenait optionnelle.

 

Une réforme à la veille d’un événement majeur pour le pluralisme

 

A la veille d’une procédure majeure pour le pluralisme des médias, à savoir  l’attribution des autorisations et  fréquences FM et DAB+, la réforme envisagée actuellement  aurait pour conséquence d’écarter des mesures d’évaluation et d’appréciation de ces attributions,  le caractère pluraliste de l’offre que le CSA avait jusqu’ici la charge de valider. En effet, la réforme restreindrait notoirement les possibilités de déclenchement d’une procédure de régulation, et donc l’action potentielle du CSA : d’abord en réduisant les paramètres d’évaluation de l’existence d’une offre pluraliste au seul pluralisme des contenus (écartant les exigences d’un pluralisme structurel, et singulièrement celui de l’indépendance et de l’autonomie des médias) ; ensuite en rehaussant fortement les seuils de déclenchement de la procédure d’évaluation ; enfin en se référant à la notion complexe de contrôle, en lieu et place de la détention de capital.

 

Consultez l'avis du Collège d'Avis

Consultez la note de synthèse adressée au Gouvernement

Tout savoir sur le pluralisme des médias en FWB

 

 

 


[1] Services de Médias Audiovisuels.

[2] Collège d’Avis du CSA.

[3] En vue de maintenir ou renforcer le pluralisme diagonal. 

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