Le CSA publie son évaluation du pluralisme des médias en FWB
De manière générale, l’évaluation du pluralisme en Fédération Wallonie-Bruxelles réalisée par le CSA est globalement positive. Néanmoins deux des axes de l’analyse ont été évalués comme risques moyens, ceux du « pluralisme de marché » et de l’« inclusion sociale ».
Pour son évaluation, le régulateur a opté pour l’utilisation du « Media Pluralism Monitor » (MPM), un outil d’analyse de risques développé notamment par la KULeuven et utilisé par le CMPF (Center for media pluralism and Freedom). Cet outil a déjà été utilisé à six reprises par différents états de l’UE pour analyser les risques pesant sur leur pluralisme. L’analyse est organisée autour de quatre axes et ses conclusions sont présentées en pourcentage. Plus ce dernier est élevé, plus il indique un risque important pesant sur le pluralisme.
L’axe consacré au « pluralisme de marché » est évalué comme risque moyen élevé avec un score de 63%. Parmi les quatre indicateurs qui ont permis cette note deux sont considérés comme élevés : « La concentration des médias d’information » (81%) et « la concentration des plateformes numériques et l’application des règles de concurrence » (79%). Les trois autres « la viabilité des médias » (55%), la « la transparence de la propriété des médias » (56%) et « l’influence commerciale et sur les contenus éditoriaux » (44%) sont jugés comme risques moyens à faibles.
La forte concentration des médias en FWB s’explique par la petite taille du marché. De fait, en TV, les parts de marché des quatre plus gros acteurs (RTL Belgium, la RTBF, TF1 et AB) captent près de 91% des recettes et représentent 78% des audiences. Pour le marché radiophonique, 4 acteurs principaux (RTL Belgium, RTBF, IPM et NRJ Group) captent près de 98% des revenus publicitaires pour un total de 86% des audiences.
Afin de prévenir le risque d’abus de position dominante sur le marché, deux organes sont chargés de vérifier la validité des concentrations dans les médias : l’Autorité belge de la concurrence (ABC), institution fédérale et le CSA au niveau de la FWB.
L’Autorité belge de la concurrence analyse les conditions de marché, mais ne dispose pas des outils spécifiques à l’analyse de l’univers des médias où les conséquences ne sont pas de l’ordre de la distorsion des prix pour le consommateur final, mais plutôt une information potentiellement moins plurielle et diversifiée pour le citoyen.
Au niveau communautaire, le décret sur l’audiovisuel gagnerait à préciser les actions à entreprendre en cas d’abus de position dominante. L’entrée en vigueur de l’European Media Freedom Act (EMFA) devrait pallier ces difficultés. En effet, il stipule notamment que « les autorités de régulations, qui ont une certaine expertise en pluralisme des médias, devraient être impliquées dans l’évaluation de la concentration sur les sujets du pluralisme et de l’indépendance éditoriale ».
En ce qui concerne la concentration des plateformes numériques et l’application des règles de concurrence, cet indicateur a été également noté comme risque élevé car en Belgique, les GAFAM captent près de 60% des investissements publicitaires dans le digital, selon l’United Media Agencies (UMA). De plus, la concentration du trafic sur quelques gros sites qui bénéficient ainsi d’une position de force leur permet d’infléchir le marché en fonction de leurs intérêts.
Au niveau du cadre règlementaire, en dehors des règles générales de contrôle des fusions fixées dans le Code fédéral de droit économique, il n’existe pratiquement aucune restriction sectorielle en matière de propriété pour le secteur des médias, notamment pour le digital. Cela résulte principalement de la répartition des compétences en Belgique entre l’État fédéral et les communautés limitant le champ d’action de chaque législateur à des médias spécifiques.
L’implémentation de l’EMFA devrait également remédier à ce déficit de contrôle.
Le second axe composant l’évaluation du pluralisme présentant un risque global moyen est celui de « l’inclusion sociale » (45%). Cette thématique évalue notamment l’accès aux médias des minorités, des communautés locales et régionales, des femmes et des personnes en situation de handicap. Il examine également les dispositifs d’éducation aux médias et à l’information et la protection contre les discours illicites et haineux.
Tous les indicateurs sont jugés comme risques moyens à l’exception de l’accès des communautés locales/régionales aux médias, jugé risque faible.
L’indicateur de l’accès des femmes aux médias est évalué comme risque moyen (63%) voire risque élevé, la représentation des femmes à l’écran comme leur place hiérarchique dans les médias restant un souci majeur en FWB. Ce déficit de représentation a été pointé à de nombreuses reprises dans les études du CSA.
En termes de respect de l’Etat de droit notons avec satisfaction que les deux autres axes qui composent le reste de l’évaluation sont jugés comme risques faibles : L’indépendance politique (16%) avec tous ses indicateurs au vert et les protections fondamentales (17%) ou seul l’indicateur consacré au statut, normes et protections des journalistes est jugé comme risque moyen (35%) notamment suite aux constats de l’étude « Portrait des journalistes belges en 2023 » mené par l’Université de Gand, l’ULB et l’UMONS qui met en lumière la détérioration des conditions objectives et matérielles des journalistes et les différentes formes de violences dont ils et elles sont victimes.
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Éléments de contexte
Qu’est-ce que le pluralisme des médias ?
Le pluralisme d’un paysage audiovisuel permet la diversité culturelle, politique, d’idées et d’opinions, et garantit la liberté d’information. Un manque de pluralisme des médias aurait pour risque de permettre à quelques médias d’imposer leurs points de vue et de façonner l’opinion publique en faveur de certains intérêts.
Que dit le décret en matière de pluralisme ?
Le Décret relatif aux services de médias audiovisuels et aux services de partage de vidéos prévoit que le CSA procède régulièrement à l’évaluation du pluralisme en Fédération Wallonie-Bruxelles,sans en préciser cependant les contours.
Lorsque le CSA constate l’exercice d’une position significative, « il engage une procédure d’évaluation du pluralisme de l’offre dans les services de médias audiovisuels édités ou distribués par les personnes morales… » (art.2.2-3 du décret SMA). Ensuite, « Si au terme d’une évaluation contradictoire, le Collège d’autorisation et de contrôle constate une atteinte à la liberté du public d’accéder à une offre pluraliste, il notifie ses griefs à la ou aux personnes morales concernées et engage avec elles une concertation afin de convenir de mesures permettant le respect du pluralisme de l’offre. Si la concertation n’aboutit pas à la conclusion d’un protocole d’accord dans un délai de six mois ou si ce protocole n’est pas respecté, le Collège d’autorisation et de contrôle peut prendre les sanctions visées à l’article 9.2.2-1. » (art. 2.2-3 du décret SMA).
Comment le CSA a-t-il réalisé cette évaluation ?
Pour sa nouvelle évaluation et pour la première fois, le régulateur a opté pour l’utilisation du « Media Pluralism Monitor » (MPM), un outil développé notamment par la KULeuven et opéré par le CMPF (Center for media pluralism and freedom). Cet outil a déjà été utilisé à six reprises par différents états pour analyser les risques pesant sur leur pluralisme.
Le MPM permet d’évaluer les risques qui pèsent sur les conditions nécessaires au développement du pluralisme au sein d’un écosystème médiatique. Sur base de questionnaires organisés autour de quatre thèmes principaux : les protections fondamentales, la pluralité du marché, l’indépendance politique et l’inclusion sociale.
Chacun subdivisé en cinq sous-thèmes, permettant une analyse graduée des risques concernant différentes composantes du pluralisme telles que la concentration des médias, la protection des journalistes, la place des minorités ou encore l’éducation aux médias.
En tant qu’outil de gestion des risques, le but du MPM et du rapport du CSA n’est pas de répondre si oui ou non le pluralisme dans les médias en Belgique est satisfaisant mais bien d’identifier les zones qui exposent cet objectif à des risques et de pouvoir agir en proposant le cas échéant un remède. Le législateur peut ainsi décider d’accepter un risque, de le mitiger (amoindrir), de le transférer ou de le supprimer.
Le CSA a donc utilisé le questionnaire constitué de près de 200 questions pour établir ce rapport. Il a pu bénéficier des réponses de la KUL de 2022 pour le niveau national en les adoptant telles quelles ou en les mettant à jour, les complétant grâce aux informations propres du CSA.
Pour plus d’information sur cet outil : (https://cmpf.eui.eu/media-pluralism-monitor/).