L’accord de coopération mettant en œuvre le Digital Services Act (DSA) et désignant les autorités compétentes en Belgique entre en vigueur ce jeudi 9 janvier 2025.
Concrètement, il fixe les missions respectives du Coordinateur national désigné au niveau belge (l’IBPT) et des autres autorités compétentes, les régulateurs des médias (le CSA, le Medienrat et le VRM), ainsi que les règles applicables à leur coopération.
Dans le contexte actuel, la mise en route du DSA est plus que jamais essentielle.
“La liberté d’expression est une valeur fondamentale de toute société démocratique. L’Europe, notre “Vieux Monde” a connu les pires atrocités, les régimes les plus oppressant et meurtriers de l’histoire humaine.
Pourtant, en quelques années l’Europe s’est reconstruite et réconciliée autour d’un projet de construction d’une prospérité économique et de garantie des libertés individuelles et collectives.
Instruits par les drames du passé, nous avons élaboré des règles et des principes pour vivre ensemble malgré nos différences.
Au cœur de ces principes figure la liberté d’expression. Un principe consacré dans nos textes fondamentaux et maintes fois illustré par la Cour Européenne des droits de l’Homme en ces termes :
« La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve des restrictions mentionnées, notamment dans l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, elle vaut non seulement pour les informations ou les idées accueillies avec faveur, ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’Etat ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’y a pas de société démocratique. »
Comme le rappelle la Cour, cette liberté, si elle est très large, n’est pas absolue ; elle peut être restreinte par la Loi si d’autres principes fondamentaux sont en jeu. Imaginez un monde où le discours haineux, raciste ou antisémite s’impose, où les enfants ne sont pas protégés des images violentes ou pornographiques, où les discours faisant l’apologie du terrorisme prolifèrent. Ne l’imaginez pas trop loin, car c’est ce qui se produit actuellement en dehors de nos frontières, avec un impact très clair sur l’Europe. Dans ce monde, au nom parfois d’une idée dévoyée de la liberté d’expression, des discours haineux et des fausses informations circulent librement et se retrouvent même encouragés par des algorithmes qui se délectent de ces contenus viraux. Lorsque ces contenus clivants, poussés davantage que les autres, occupent toute la place et musellent les propos plus modérés, peut-on encore parler de liberté d’expression ? Ne s’agit-il pas davantage de manipulation ?
Dans ce monde, ces mêmes algorithmes (qui devraient être assimilés à une forme de responsabilité éditoriale) sont dictés par des intérêts privés qui peuvent aussi rejoindre des intérêts étatiques. Les ingérences d’Etats tiers qui tentent de déstabiliser les élections en Europe en utilisant massivement les réseaux sociaux, les sorties d’Elon Musk en Allemagne et en Grande Bretagne pour soutenir des partis extrémistes, ou encore les annonces récentes de Mark Zuckerberg de vouloir mettre fin au Fact-checking sur Facebook et Instagram, toujours au nom de la liberté d’expression, illustrent, avec clarté, que ces plateformes ne sont pas neutres et surtout qu’elles sont capables de se réorienter avec une rapidité déconcertante au gré des influences politiques et des agendas de leurs propriétaires. Ces plateformes ont pourtant un poids gigantesque à l’échelle mondiale, car c’est par elles que les idées s’échangent et que les débats prennent corps aujourd’hui pour une part croissante de nos concitoyennes et concitoyens.
Dans ce monde d’instabilité, il y a au contraire le projet auquel s’est attelé l’Europe depuis plusieurs années maintenant, celui de sauvegarder la liberté d’expression, sa souveraineté numérique et de protéger en ligne les citoyens et les citoyennes en mettant en place des garde-fous. Comme le disait le Commissaire Thierry Breton “ce qui est interdit dans le monde réel doit l’être aussi en ligne” Le Digital Services Act permet ainsi d’offrir la garantie que les algorithmes des plateformes ne soient pas orientés pour servir des intérêts politiques particuliers, que les fausses informations soient identifiées, que les discours haineux ne puissent être propagés. Ces garde-fous sont essentiels dans une société qui préfère l’unité à la polarisation et qui garantit les libertés de chacune et chacun. Ces garde-fous incarnent l’ADN de l’Europe et de son projet de société démocratique.
Dans ce contexte, les régulateurs nationaux comme le CSA, le VRM, le Medienrat et l’IBPT ont un rôle central à jouer, celui de s’assurer avec leurs homologues européens de la bonne application du DSA sur leur territoire. La Commission Européenne a quant à elle un rôle de capitaine à assumer jusqu’au bout avec les géants du numérique et aujourd’hui, plus que jamais, il apparaît fondamental qu’elle maintienne le cap. »
Karim Ibourki, Président du CSA