L’Association des Journalistes professionnels (AJP) a présenté ce lundi 24 juin, sa troisième étude portant sur l’égalité et la diversité dans les quotidiens de la fédération Wallonie-Bruxelles. Les précédentes études datent de 2010 et de 2013-14. Un projet que suit de très près le CSA qui a participé à l’élaboration de la méthodologie de l’étude et qui publie un baromètre similaire au niveau des médias audiovisuels. Quelles conclusions tirer du baromètre de l’AJP ?

 

Pourquoi s’intéresser à l’égalité et la diversité dans la presse quotidienne ?

Selon Martine Simonis, Secrétaire générale de l’AJP, le sujet de l’étude « Egalité et la diversité dans la presse quotidienne » est intéressante à plusieurs titres, outre sa résonnance particulière ces dernières années, après l’affaire #metoo. En interrogeant la problématique de l’égalité et la diversité, on touche tout d’abord aux journalistes eux-mêmes dans l’exercice quotidien de leur métier, leur réalité, leur difficulté. Et ensuite, on s’intéresse à leurs publics, aux consommateurs des contenus médiatiques. Cette étude, comme les précédentes, offre un éclairage sur le paysage de la presse écrite belge francophone. L’étude permet de pointer les problèmes pour trouver des solutions avec l’ensemble de la profession.

 

Clap, troisième !

L’étude 2018 a porté sur 6 titres de presse (Le Soir, La Dernière Heure/Les Sports, La Libre Belgique, L’Echo, L’Avenir, Sudpresse), 3 jours, 1 596 articles, 18 647 intervenant.e.s et permet de dresser l’état de la diversité de la presse quotidienne selon 5 axes : le genre, l’origine, l’âge, les catégories socioprofessionnelles et le handicap.

Ce troisième baromètre met en parallèle ses résultats avec ceux des études publiées en 2011 et 2013. Une collaboration avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel permet également une comparaison avec les résultats du baromètre de l’égalité et de la diversité en télévision publié par le CSA en 2018.

 

Genre : l’information reste essentiellement masculine, surtout en sport !

Halima El Haddadi, coordinatrice de la recherche à l’AJP, revient sur les résultats de l’étude. Parmi les principaux constat, la presse quotidienne est de toute évidence le média le moins égalitaire, avec à peine 15,39 % des femmes dans ses contenus, une perte de 2 points par rapport à l’étude précédente. En 2018, la presse a consacré très peu de place au sport féminin (6 % de femmes dans les pages sportives) et encore moins aux joueuses. Toutefois, si l’on écarte les contenus sportifs, la présence des femmes est en réalité en progression : on passe de 25 % à 30 % de femmes.

La plus forte parité se trouve dans la représentation des jeunes de moins de 18 ans (49% de « femmes »). Entre 19 et 65 ans, la présence des femmes tombe à 20%, soit bien en dessous de la réalité de la population belge.

Les femmes sont surtout présentes dans des rôles passifs, dans des rôles de vox populi (environ 27%). Si la part de femmes dans le rôle de porte-parole est plus importante qu’auparavant (elle passe de 14 à 20%), la part d’expertes n’a pas évolué et est même légèrement en recul, à 13% seulement. Lorsque les femmes sont interrogées, c’est principalement sur des questions liées au genre, tandis que les hommes sont plus interrogés sur des sujets liés à leur profession.

 

Diversité d’origine. Plus de diversité dans l’information nationale, moins dans le sport

Comme l’explique Sabri Derinöz, chercheur qui a mené cette étude avec le AJP, la part d’intervenants issus de la diversité d’origine, qui était passée de 17 à 33% dans les deux baromètres précédents, se stabilise à 34% en 2018. Cette diversité provient surtout de l’information internationale (49%) et des articles qui traitent de sport (38%). Même sans ces deux critères, la diversité d’origine reste plus importante que celle que l’on observe à la télévision (14%).

L’information locale présente moins de diversité d’origine qu’auparavant (- 5 points). Avec pour conséquence que ce sont les quotidiens régionaux qui sont les moins diversifiés sur le plan de l’origine. L’information nationale progresse de 3 points et présente 25 % d’intervenants issus de la diversité.

Les rôles « prestigieux » sont moins diversifiés : on compte 20% de porte-paroles (contre 29% en 2013-14) et seulement 6% d’experts issus de la diversité d’origines (14% précédemment). C’est dans les rôles passifs (86%), surtout dans le domaine du sport, que l’on trouve le plus de diversité.

 

Catégories socioprofessionnelles : toujours aussi peu de diversité

On observe toujours une diversité socioprofessionnelle très pauvre dans les quotidiens francophones. Les intervenants des CSP supérieures et les sportifs représentent 94% des CSP dans l’échantillon.

Les ouvriers, les étudiants, les agriculteurs, les chômeurs, et le reste de toutes les catégories de professions ne représentent que 6%.

 

Âge : les jeunes très représentés mais peu interviewés

La catégorie des 19 à 34 ans est la plus représentée dans la presse quotidienne. Les intervenants y sont deux fois plus présents que dans la réalité de la population : 41% (contre 20% dans la population belge). La moitié de cette catégorie est composée de sportifs. Les moins de 18 ans perdent en présence (9% contre 12% en 2013-14).

Les intervenants de moins de 35 ans sont les moins interviewés (entre 7 et 25% d’entre eux alors que les 19-34 ans sont les plus présents dans l’échantillon).

L’identification est toujours liée à l’âge de l’intervenant : plus il est âgé, plus il est identifié de manière complète (prénom+nom+profession).  Les intervenants de plus de 65 ans sont les mieux identifiés (61%).

 

Personnes handicapées : une cape d’invisibilité

L’échantillon de la dernière étude de l’AJP comptait 39 personnes en situation de handicap (0.21%). La plupart du temps, ces personnes sont interrogées en raison de leur handicap. La moitié d’entre elles ne sont pas identifiées.

Les personnes handicapées sont invisibles et quand elles sont visibles, c’est en lien avec leur situation de handicap et sans mention de leur identité.

 

Les résultats sont-ils meilleurs en TV ?

Le CSA belge a publié 4 éditions du Baromètre de l’égalité et de la diversité. Le dernier est paru en avril 2018. Il porte sur un échantillon de 7 jours consécutifs programmes du mois de mai 2017, diffusés sur 23 chaînes de télévision linéaires des éditeurs actifs en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Les principales différences entre la presse écrite et la TV portent sur les critères de genre et de diversité des origines. Joëlle Desterbecq, directrice Etudes & Recherches au CSA, explique qu’on observe davantage de femmes en télévision qu’en presse écrite mais moins de diversité des origines. La tendance est régulière au fil des analyses. S’agissant du rôle d’expert la présence des femmes est plus encourageante en télévision qu’en presse écrite.

Certains constats persistent au fil des analyses réparties sur plusieurs années et sur deux supports différents : les femmes, les personnes issues de la diversité, les personnes âgées et les très jeunes, les individus issus de catégories socio-professionnelles moins qualifiées et les personnes en situation de handicap font l’objet de représentations quantitativement et qualitativement déséquilibrées par rapport aux hommes, aux jeunes adultes, aux personnes vues comme « blanches », aux catégories socio-professionnelles supérieures et aux individus en « bonne » santé. La récurrence de ces constats devient une information en soi.

 

Comment faire changer les choses ?

La Secrétaire générale l’AJP, Martine Simonis, rappelle la responsabilité sociale des médias de représenter une image complète – à tout le moins non biaisée– des différentes catégories qui constituent notre société. Où sont les femmes, les personnes issues de la diversité d’origine, les jeunes, les personnes âgées, les personnes porteuses d’un handicap, les ouvriers, les chômeurs ?

À côté de cette prise de responsabilité, il ne faut pas nier l’enjeu économique de ces déficits en matière d’égalité et de diversité. Pour toucher toutes ces catégories peu ou pas visibles, il faudra repenser le journal de demain autrement que par la modernisation de son format. Et l’enjeu dépasse la seule question du modèle économique.

Concrètement, l’AJP va poursuivre son travail d’information et de sensibilisation au quotidien. Les résultats de l’étude seront présentés à chaque rédaction concernée. L’objectif est que les éditeurs de presse, des responsables jusqu’aux journalistes, puissent réellement s’emparer de ces questions.

L’AJP va également lancer une campagne sur l’égalité et la diversité dans la profession de journaliste pour favoriser des approches différentes des contenus rédactionnels et par là plus de diversité et d’égalité en général.

Enfin, l’AJP soutient les journalistes dans leur recherche d’expert.e.s, via la base de données Expertalia.be, qui regroupe des femmes expertes, et des hommes experts pour autant qu’ils soient issus de la diversité d’origines. Si les responsables des rédactions ont marqué leur enthousiasme lors du lancement de cet outil, celui-ci tarde à marquer durablement ses effets dans les pages des journaux. Plusieurs centaines de journalistes utilisent pourtant Expertalia. Reste encore à casser certaines routines professionnelles pour en finir avec ce profil type de l’expert ; blanc entre 35 et 49 ans.

 

Téléchargez l’étude de l’AJP

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