Début juin 2018, le projet de révision de la directive Service de Médias audiovisuels (SMA) a fait l’objet d’un accord entre les trois principales branches du pouvoir législatif européen. Cet accord permettra de moderniser le cadre juridique du secteur audiovisuel européen avec, pour objectif, celui d’assurer un meilleur équilibre entre les différents acteurs du secteur audiovisuel actifs en Europe. Cet accord finalisé au sein du trilogue européen[1] devra encore être discuté puis définitivement entériné dans les enceintes du Parlement et du Conseil. Les Etats membres auront alors 21 mois pour transposer la directive dans les droits nationaux. En l’état, l’accord est très encourageant et intègre une série de recommandations soutenues par le CSA pour faire entendre les spécificités de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Un enjeu important pour les petits territoires comme la Fédération Wallonie-Bruxelles 

L’enjeu de cet accord est de taille pour les territoires de petite taille tels que la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il intervient dans un contexte marqué par une présence massive d’acteurs audiovisuels extra-européens et intra-européens qui ne respectent pas les mêmes règles que les acteurs locaux. Le nouveau cadre européen harmonise certaines règles pour l’ensemble des acteurs et devrait donc permettre d’assurer la croissance de la production d’œuvres européennes tout en limitant certaines formes de concurrence déloyale.

Plus spécifiquement, le marché audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles fait l’objet de ciblage territorial par des acteurs non-linéaires (Netflix et consorts) et linéaires (RTL, TF1, Disney Channel…). Ces acteurs régulés dans un autre territoire ne sont pas soumis aux mêmes règles que les acteurs locaux, notamment s’agissant des règles relatives à la production et la mise en valeur d’œuvres européennes, aux règles qui encadrent la communication commerciale ou encore à la protection des mineurs. À plusieurs reprises, le CSA avait exprimé sa volonté d’harmoniser davantage le cadre européen, notamment pour empêcher ces acteurs de contourner les règles plus strictes appliquées aux services de médias audiovisuels de la FWB.

En ce qui concerne les services installés en Fédération Wallonie-Bruxelles qui prétendent pouvoir se déclarer ailleurs, le CSA avait rappelé l’importance de clarifier davantage les critères de rattachement qui permettent d’identifier les régulateurs légitimes.

Le CSA a pris connaissance de l’accord du trilogue sur le projet de révision de la directive SMA. Le CSA peut se réjouir que sa position ait été entendue. Les critères de rattachement ont été précisés, ce qui permettra d’éviter à l’avenir les stratégies de contournement des règles par des éditeurs actifs et installés sur le territoire d’un Etat membre mais qui revendiquent la compétence d’un autre Etat membre. Ensuite, l’accord définit des règles précises et communes pour l’ensemble des acteurs, qu’ils soient linéaires ou non-linéaire). Enfin, l’ensemble des acteurs devront contribuer à la production d’œuvres à l’intérieur des pays qu’ils ciblent lorsque ces pays intègrent ce mécanisme. Concrètement, que retenir de cet accord ?

« Tous » les acteurs devront répondre à des quotas – de diffusion ou de catalogue – et contribuer à la production à l’intérieur des pays qu’ils ciblent

20% d’œuvres européennes dans les catalogues des services audiovisuels à la demande : c’était le chiffre   annoncé initialement par la Commission Européenne dans sa proposition de révision   de la directive SMA. Un quota obligatoire était donc établi là où, jusqu’à présent, les Etats-membres avaient la liberté de définir ou non des obligations spécifiques à ce principe. L’accord survenu préserve ce quota obligatoire et le rehausse à 30%.

Par ailleurs, la Commission avait également ouvert la voie au principe de contribution à la production des services non linéaires dans les pays qu’ils ciblent.   Le CSA s’était alors inquiété que seuls les services « non-linéaires » soient concernés par cette mesure. En effet et plus concrètement, si cette obligation ne s’était pas étendue à l’ensemble des acteurs, des services linéaires comme TF1, qui ciblent le marché publicitaire belge, auraient pu s’y soustraire.

Fort heureusement, l’accord intervenu étend finalement l’obligation aux services « linéaires ».

Il constitue en quelque sorte une confirmation de l’approche revendiquée sur le territoire de la FWB. Un bémol vient néanmoins s’y glisser puisqu’il n’est pas question d’une obligation faite aux Etats membres d’imposer de telles contributions, mais d’une faculté qui leur est laissée. En cela, l’objectif espéré d’une harmonisation globale de ce principe de contribution dans tous les Etats membre de l’UE n’est pas encore tout à fait atteint.

Les plateformes de partage vidéo entrent dans le giron de la régulation

Jusqu’alors écartées de la directive SMA, les plateformes de partages vidéo sont désormais concernées par certaines obligations. Les médias sociaux sont également intégrés lorsque la fourniture de programmes audiovisuels ou de vidéos générées par les utilisateurs constituent une fonctionnalité essentielle de ceux-ci. Le projet initial de la directive prévoyait de limiter ces obligations à la protection des mineurs et à l’interdiction du discours de haine. Des obligations minimes au regard des autres éditeurs, d’autant que les médias sociaux étaient simplement écartés du projet. Dans sa précédente analyse, le CSA se questionnait sur le principe d’égalité de traitement entre les services de médias audiovisuels régulés et ces nouveaux acteurs. Pourquoi se cantonner, pour ces derniers, à la seule protection des mineurs et à la lutte contre le discours de haine ? Qu’en serait-il de la question du pluralisme des médias, de la diversité culturelle ou encore de la protection des consommateurs auxquels sont soumis les SMA déjà régulés ?

L’accord obtenu entend certaines des inquiétudes formulées par bon nombre de régulateurs. Les règles en matière de protection des mineurs et des discours de haine ont été d’abord précisées. Les obligations ont ensuite été étendues à la protection du consommateur : il s’agit en particulier d’informer l’utilisateur sur l’existence de contenus commerciaux, d’y appliquer les règles générales de contenu et de prévenir l’exposition des enfants à la diffusion de contenus commerciaux pour des aliments et boissons à haute teneur en sucre ou en graisse.

Le fait d’étendre les obligations va indiscutablement dans la bonne direction. Le CSA regrette néanmoins que les obligations essentielles que sont le pluralisme, la diversité culturelle et la visibilité des contenus d’intérêt général n’aient pas été intégrées aux obligations des plateformes de partage vidéo.

RTL – TF1 en Belgique : la Directive prend une bonne direction

L’entrée de TF1 sur le marché publicitaire belge et la décision du CSA de reprendre en main les instructions relatives à RTL Belgium dont le siège social se situe en Belgique, sont des sujets qui touchent directement à la question de la compétence territoriale. La directive SMA applique le principe dit du « pays d’origine ». Ce principe dit qu’un éditeur doit appliquer la législation du pays dans lequel il est installé. Par exemple, si TF1 est actif sur le marché publicitaire belge, il dépend néanmoins de la législation française puisque son siège social et le lieu des décisions éditoriales sont en France.  La situation de RTL Belgium qui prétend dépendre du Luxembourg est différente, puisque le siège social de l’entité qui exerce le contrôle effectif sur la sélection et l’organisation de ses programmes se situe en Belgique, que les décisions éditoriales sont prises en Belgique et que son personnel est établi en Belgique.

L’ancien texte de la directive définissait déjà une série de critères de rattachement pour déterminer auprès de quel régulateur un éditeur doit se déclarer. Ces critères sont : Le lieu du siège social, le lieu où sont prises les décisions éditoriales et enfin le lieu où une majorité du personnel travaille. Au moment des débats sur le projet de révision de la directive SMA, le CSA et l’ERGA[1] avaient appelé la Commission à « clarifier » ces critères de rattachement de manière à ce qu’il ne subsiste aucune ambiguïté. Il semblerait que ces demandes aient été entendues puisque l’accord fait incontestablement un pas en avant en précisant notamment la notion de « décisions éditoriales » et la nature de celles-ci.

Concernant la situation de TF1, le texte actuel de la directive prévoit que lorsqu’un Etat est ciblé par un service audiovisuel étranger, il est possible d’enclencher une procédure anti-contournement et d’imposer à cet éditeur des règles plus strictes. L’objectif étant d’éviter une situation de concurrence déloyale entre les éditeurs locaux et les autres éditeurs soumis à des règles moins strictes. L’actuelle procédure pour faire appliquer le droit national à des éditeurs étrangers implique une collaboration entre les régulateurs compétents et une analyse amenant la preuve que l’Etat est ciblé par l’éditeur en question. À l’issue de cette procédure, les régulateurs compétents peuvent alors (ou non), trouver une solution mutuellement satisfaisante. Une procédure lourde sans garantie de résultats que le CSA espérait voir allégée dans la future directive. C’est chose faite, puisque l’accord obtenu devrait considérablement faciliter cette procédure anti-contournement. Les Etats concernés devront désormais coopérer de manière sincère et rapide lorsqu’une situation de ciblage territorial sera observée. Enfin, il ne sera plus obligatoire d’établir l’intention de contournement des règles par un éditeur pour enclencher la procédure. De quoi faciliter à l’avenir la recherche de solutions en cas de ciblage territorial.


[1] European Regulators groups for audiovisual


[1] Réunion tripartite informelle à laquelle participent des représentants du Parlement européen, du Conseil et de la Commission