Algorithmes de recommandation

Enjeux

Contexte

En 2019, le 5ème Contrat de gestion de la RTBF était le premier à contenir à l’article 42 octies des remarques sur les « Algorithmes de recommandation aux utilisateurs ». Les dispositions de cet article permettent à la RTBF d’en faire usage sur sa plateforme de services de médias audiovisuels non linéaires et ses services de la société de l’information.

L’article 42 octies délimite la notion d’algorithmes de service public de la façon suivante :

  • Encourager la consommation d’une grande diversité de contenus puisés dans toute la programmation de la RTBF ;
  • Prendre en compte les préférences de l’utilisateur pour ne pas mettre à mal sa fidélisation ;
  • Eviter la création de « bulles de filtres » ou « bulles cognitives » ;
  • Agir en complémentarité de l’éditorialisation humaine sans la remplacer.

Le Contrat de gestion enjoint la RTBF à définir des métriques permettant de mesurer les effets de ces algorithmes sur les utilisateurs et plus spécifiquement leur efficacité dans l’augmentation de la diversité des contenus consommés. Les résultats de ces mesures doivent faire l’objet d’une publication dans le rapport annuel de la RTBF.

Enfin, l’article 42 octies se clôture en invitant la RTBF à respecter scrupuleusement les différentes législations et réglementations applicables en la matière, et à publier sur son site Internet la charte d’utilisation des données des utilisateurs qui a été adoptée par son conseil d’administration le 1er décembre 2016.

Bilan

Charte d’utilisation des données des utilisateurs

La RTBF a publié la charte d’utilisation des données des utilisateurs sur son site à l’adresse suivante : https://www.rtbf.be/charte. Le document fait l’objet d’une présentation attrayante, l’internaute pouvant découvrir le contenu de la charte à travers une courte vidéo explicative, ou à travers un résumé des points importants renvoyant au texte intégral de la charte.

L’éditeur fournit au CSA les chiffres de fréquentation de cette page de leur site, qui indiquent un réel intérêt du public pour la charte : 80.000 visites en 2019 et 100.000 visites en 2020.

La RTBF a déployé en 2020 de nombreuses adaptations à son offre en ligne visant à recueillir et gérer le consentement des visiteurs, quant à l’utilisation qu’elle fait des cookies et technologies similaires.

Mesures de l’efficacité des algorithmes de recommandation

Au cours des deux exercices d’application du cinquième Contrat de gestion qui ont déjà fait l’objet d’un contrôle par le CSA, la RTBF n’a publié aucune information relative à l’usage d’algorithmes de recommandation dans son rapport annuel.

En revanche, elle transmet au CSA un résumé très succinct de l’activité de ces algorithmes, indiquant le nombre de sollicitations du moteur de recommandation et le volume de consommation de contenus généré par celui-ci sur Auvio, soit 280 millions d’activations qui ont généré 10% de la consommation pour l’exercice 2020.

La RTBF ne publie donc aucun résultat de mesure portant sur l’efficacité des algorithmes dans l’augmentation de la diversité des contenus consommés, contrairement aux prescriptions de son Contrat de gestion.

Evolution du contexte autour du sujet des algorithmes

En 2022, les enjeux liés aux algorithmes de recommandation de contenus ne sont plus à démontrer. Dans une étude[1] datant déjà de novembre 2019, l’ARCOM (ex-CSA) en France relevait que « la mise en lumière de phénomènes qui par certains aspects pourraient être assimilés à ceux dits de chambre d’écho, renforcés par l’individualisation des recommandations, peut interroger sur la capacité des algorithmes à proposer aux utilisateurs des contenus exprimant une diversité de points de vue. » pour conclure sur la nécessité « d’améliorer la transparence des algorithmes et d’assurer aux utilisateurs une information claire sur les recommandations qui leur sont faites. »

Selon une étude de l’université d’Aalborg au Danemark[2], la maîtrise des algorithmes de recommandation revêt une importance stratégique pour les éditeurs de médias de service public. Sans elle, leurs contenus pourraient littéralement disparaître aux yeux du public face à la concurrence ciblée des éditeurs privés. Les auteurs soulignent les difficultés rencontrées par les éditeurs de service public qui doivent réconcilier les tendances normatives des algorithmes de recommandation avec les obligations tant légales qu’éthiques de proposer à leurs utilisateurs une offre généraliste et diversifiée, ou autrement dit d’offrir à leurs publics non seulement ce qu’ils souhaitent voir, mais également d’élargir leurs horizons en leur présentant des contenus auxquels ils ne seraient autrement pas exposés.

Un chercheur de l’université d’Helsinki a rencontré une dizaine de représentants des équipes « Big Data » d’éditeurs européens (BBC, Channel 4, RTÉ, DR, YLE, RTS, VRT et ZDF) et relève dans un article[3] publié en 2021 les nombreuses difficultés rencontrées par ces éditeurs pour définir la notion de diversité –prise dans ses multiples dimensions[4]– en termes concrets, pouvant être mesurés et traduits dans les mécanismes algorithmiques. L’auteur souligne néanmoins que ces questions sont au cœur de la raison d’être des éditeurs de médias de service public et que l’ensemble des éditeurs rencontrés poursuivent leurs expérimentations en la matière. Ces questions sont d’autant plus importantes lorsque les algorithmes sont utilisés pour recommander des contenus d’information.

Enfin, à travers le Digital Services Act, la Commission Européenne entend réclamer aux plateformes numériques une plus grande transparence sur le fonctionnement des algorithmes de recommandation de contenus, en fournissant plus d’informations sur leurs rouages non seulement aux régulateurs, mais également aux utilisateurs, brisant ainsi le principe de « boite noire » selon laquelle fonctionnent la plupart des algorithmes actuels.

 

[1] Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (2019). Capacité à informer des algorithmes de recommandation. Une expérience sur le service YouTube. https://www.csa.fr/Informer/Collections-du-CSA/Focus-Toutes-les-etudes-et-les-comptes-rendus-synthetiques-proposant-un-zoom-sur-un-sujet-d-actualite/Capacite-a-informer-des-algorithmes-de-recommandation-une-experience-sur-le-service-YouTube-2019
[2] Sørensen, J. K., & Hutchinson, J. (2018). Algorithms and Public Service Media. In Public Service Media in the Networked Society : RIPE@2017 (pp. 91-106). Nordicom. Re-Visionary-Interpretations of the Public Enterprise (RIPE) http://www.nordicom.gu.se/sites/default/files/publikationer-helapdf/public_service_media_in_the_networked_society_ripe_2017.pdf
[3] Hildén, J. (2021) The Public Service Approach to Recommender Systems: Filtering to Cultivate. Television & New Media. https://doi.org/10.1177/15274764211020106
[4] Par exemple, diversité de genre, de thématiques, de contenus, d’opinions, etc.

Conclusions et recommandations

Il est crucial que la RTBF puisse continuer à exploiter des algorithmes de recommandation dans ses outils en ligne, voire à étendre ceux-ci à l’offre d’informations sur son site, avec pour objectif une plus grande fidélisation des utilisateurs et une accumulation de connaissances au sein de l’entreprise quant à la maîtrise du paramétrage des algorithmes.

Il apparaît que la question des métriques permettant de mesurer l’efficacité des algorithmes revêt une complexité plus importante qu’entrevu en 2018 lors de la rédaction du cinquième Contrat de gestion de la RTBF. Le texte de l’article 42 octies pourrait être augmenté d’une demande envers la RTBF d’établir elle-même une charte définissant les valeurs d’un algorithme de recommandation de service public et la façon d’en mesurer la réussite, sur base des éléments déjà présents dans l’article.

Au vu des questions qui traversent la société civile concernant l’usage des algorithmes de recommandation, il importe d’en améliorer la transparence envers les utilisateurs. A titre d’exemple, les actions suivantes pourraient être mises en œuvre dans ce but :

  • Mettre à disposition des utilisateurs des informations qui leur permettraient de comprendre pourquoi un contenu leur a été recommandé ;
  • Entreprendre une démarche pédagogique de démystification des algorithmes de recommandation, proposée en permanence sur le site de la RTBF et promue sur les réseaux sociaux ;
  • Mesurer l’efficacité de ces algorithmes à travers des métriques simples et communiquer le résultat de ces mesures, non seulement dans le rapport annuel de l’entreprise, mais également en temps réel sur le site internet de la RTBF.

En outre, le CSA identifie les caractéristiques suivantes comme relevant de ce qu’un algorithme de service public en 2022 devrait proposer :

  • Suggérer aux utilisateurs une offre généraliste et diversifiée, ou autrement dit offrir aux publics non seulement ce qu’ils souhaitent voir, mais élargir leurs horizons en leur présentant des contenus auxquels ils ne seraient autrement pas exposés ;
  • Eviter la création de « bulles de filtres » ou « bulles cognitives » ;
  • Agir en complémentarité de l’éditorialisation humaine, sans la remplacer ;

Mettre en lumière le fonctionnement de l’algorithme dans une double démarche de transparence : à l’échelle du système de recommandation à travers une mesure de l’efficacité de la diversité des recommandations qui sont faites, et à l’échelle de chaque utilisateur en expliquant pourquoi un contenu a été recommandé.