Plateforme de distribution Auvio

Enjeux

Contexte

La RTBF a procédé à la déclaration d’Auvio au CSA, au titre de distributeur de services de médias audiovisuels, par courrier du 19 novembre 2020. Effectuée conformément au décret coordonné sur les services de médias audiovisuels, cette déclaration a toutefois suscité des interrogations au sein du Collège d’autorisation et de contrôle du CSA dans la mesure où elle relançait, aux yeux du Collège d’autorisation et de contrôle, « la question déjà plusieurs fois soulevée, tant par le CAC que par le CAV du CSA, de la qualification juridique et, partant, du régime applicable aux offres de distribution via l’Internet (offres « over the top » ou OTT), dont l’importante question de l’obligation de distribution (« must-carry ») (…) » (décision du CAC du CSA du 25 février 2021).

Auvio était, à l’origine, une plateforme en ligne pour la diffusion, par la RTBF, de ses propres programmes télévisuels et sonores (en linéaire et non linéaire). Successivement, des programmes ont été ajoutés suite à divers accords avec :

  • Arte (2018) ;
  • AB3 et ABXPLORE (2019) ;
  • TV5 Monde sous la houlette de Radio-Canada (2020) ;
  • Sooner, le service de vidéo à la demande payant consacré au cinéma indépendant (2020) ;
  • LN24 (2021) ;
  • Bruzz, le média local de service public bruxellois néerlandophone (2021) ;
  • VRT pour la diffusion du journal télévisé (date inconnue) ;
  • Sonuma (date inconnue).

 

Auvio est devenue une plateforme contenant « des versions originales, des contenus natifs, des podcasts inédits, une vaste offre sport et des programmes OUFTivi sans publicité »[1]. La presse belge francophone s’est demandée en 2020, peu après l’annonce de la création du « Netflix flamand », Streamz, si la fonction d’agrégateur de contenus remplie par Auvio qualifierait celui-ci comme plateforme belge francophone de référence[2].

 

[1]https://www.rtbf.be/tv/article/detail_la-famille-rtbf-auvio-s-agrandit-avec-ab3-et-abxplore?id=10318323, consulté le 6 avril 2020.

[2] LALOUX Philippe, TV5 (et la RTBF) planchent sur un « Netflix de la francophonie », in Le Soir, 13 février 2020, https://plus.lesoir.be/279793/article/2020-02-13/tv5-et-la-rtbf-planchent-sur-un-netflix-de-la-francophonie, consulté le 6 avril 2020.

Questions relatives aux obligations des distributeurs

Comme on le sait, le décret du 4 février 2021 relatif aux services de médias audiovisuels et aux services de partage de vidéos impose une série d’obligations aux distributeurs de services de médias audiovisuels.

Certaines s’appliquent à tous les distributeurs, quel que soit le type de réseau (câble, satellite, TNT, etc.) : notamment les obligations de transparence dans le cadre du pluralisme, de péréquation tarifaire, de séparation comptable, de contribution à la production d’œuvres audiovisuelles et de financement des médias de proximité.

D’autres obligations sont spécifiques à certains types de réseau, comme l’obligation de distribution et de positionnement des chaînes (« must-carry »), qui s’applique notamment aux câblodistributeurs, ou le régime différencié pour la distribution hertzienne terrestre (TNT ou DVB-T). À noter qu’une plateforme de distribution en OTT ne constituant pas un réseau, il semble que le droit européen s’opposerait à l’imposition d’une obligation de distribution (« must-carry ») de chaînes linéaires ou de programmes à la demande sur une plateforme en OTT. En tout état de cause, une obligation de positionnement paraîtrait incongrue dans le cadre d’une plateforme en OTT.

Se pose la question de l’opportunité de prévoir ou non un régime différencié pour la distribution en OTT par un acteur comme la RTBF, adapté aux spécificités que le législateur estimerait devoir reconnaître à Auvio – par exemple, en tant que distributeur « de service public » (ce qui n’est donc pas prévu dans le décret actuel). Bien entendu, il conviendrait d’envisager dans le même temps le caractère opportun de l’adoption de règles spécifiques pour des plateformes privées de distribution en OTT et – si c’est raisonnable, adéquat et proportionnel – différentes de celles applicables aux plateformes publiques équivalentes.

A défaut, c’est au régime général applicable à tous les distributeurs que le CSA devrait logiquement se référer. Or, dans ce régime général, les distributeurs disposent de la plus grande latitude quant à la constitution de leur offre, essentiellement en fonction de leur désir de répondre aux attentes de leurs clients, sans devoir se préoccuper de considérations comme la mise en valeur des programmes et contenus de service public (voir point suivant). Par ailleurs, se pose la question s’il convient d’encadrer plus avant l’utilisation et la monétisation des données personnelles (voir ci-après le point sur les questions relatives a l’utilisation et la monétisation des données personnelles). Enfin, le Collège d’autorisation et de contrôle du CSA s’interroge sur diverses questions entraînées par Auvio (voir dernier point). Bien que ces réflexions dépassent le cadre du Contrat de gestion proprement dit et pouvant rendre nécessaire une action législative, il semble utile de les aborder ici.

Questions relatives à la mise en valeur des programmes et contenus d’intérêt public

Une démarche commune à tous les distributeurs de services de médias audiovisuels traditionnels (on pense en particulier aux câblodistributeurs) a été, ces dernières années, de proposer à leurs clients des suggestions de contenus en fonction de leurs habitudes de consommation et de leurs envies. Cela a été rendu possible par le recours croissant à des algorithmes de recherche ou de recommandation personnalisée, étant entendu que ceux-ci étaient déjà fort employés dans l’accès aux contenus audiovisuels sur Internet[1].

Cela ne paraît pas fondamentalement différent pour la RTBF dans le cadre de son activité de distribution par le biais d’Auvio. En effet, la RTBF cherche également à répondre aux besoins et préférences des consommateurs en mettant en œuvre des algorithmes. Les contenus que l’utilisateur a l’habitude et l’envie de voir peuvent, on l’a vu, être édités par la RTBF ou d’autres entreprises, parfois privées, et relever d’une multitude de genres (information ou documentaires, certes, mais aussi divertissement, cinéma, sport, etc.). On conviendra que tous ces contenus ne relèvent pas de la notion d’intérêt public.

Dans ce contexte, on peut s’interroger sur la question de la « découvrabilité » de contenus audiovisuels d’intérêt public sur Auvio. En effet, le recours à l’utilisation d’algorithmes peut poser question en termes de découverte de contenus qui ne sont pas recherchés activement par le consommateur : ce dernier se verra-t-il recommander un journal télévisé d’un média de proximité si ses premières recherches de contenus visaient davantage à se divertir ? Les contenus généralement les plus populaires ne risquent-ils pas d’être recommandés prioritairement ? A cet égard, y aurait-il un intérêt à imposer à un distributeur comme Auvio, émanant d’une entreprise de service public, l’obligation de mettre en valeur les contenus d’intérêt public (y compris le cas échéant, ceux qui seraient édités par les partenaires privés de la RTBF comme par exemple LN24) ?

Bien entendu, cela doit s’accompagner d’une réflexion sur les différents enjeux liés à la « découvrabilité », et sur les stratégies globales des grands acteurs de l’ensemble de la chaîne de valeur. Comme le montre l’étude « MAP : Médias, Attitudes et Perceptions »[2], menée de l’été 2019 à l’été 2020 et consacrée aux modes de consommation des services de médias audiovisuels en Fédération Wallonie-Bruxelles (télévision, vidéo à la demande payante et vidéo à la demande gratuite), il semblerait que le processus de recherche et de sélection de contenus par le consommateur s’opère entre les différents modes de consommation (plutôt qu’au sein d’un même mode de consommation).

 

[1] Voir à ce sujet la fiche consacrée aux algorithmes de recommandation.

[2] https://www.csa.be/wp-content/uploads/MAP/CSA_Etude-MAP-WEB-HR.pdf, consulté le 10 mars 2022.

Questions relatives à l’utilisation et à la monétisation des données personnelles

Dans le modèle mis en place par la RTBF, l’utilisateur a accès gratuitement à une majeure partie de l’offre d’Auvio. Dans ce cas, la RTBF bénéficie d’une monétisation financière de l’utilisation par l’insertion de publicité. En outre, certains contenus premium sont payants.

Ceci amène à s’interroger sur le rôle que doit tenir la RTBF, une entreprise publique financée en partie par une dotation, dans l’accès gratuit à des contenus audiovisuels d’intérêt public sur sa plateforme de distribution. En effet, même si l’utilisation de la plateforme se veut « gratuite » pour le consommateur, le service n’est accessible qu’à condition pour celui-ci de consentir à l’exploitation de ses données personnelles permettant ainsi à la RTBF de proposer de la publicité ciblée. Dès lors, nous sommes ici en présence d’un marché biface (voir multiface)[1] ayant pour volonté de capter de la valeur et le service n’est donc pas réellement « gratuit » pour le consommateur.

Il est donc intéressant de s’interroger sur une obligation de garantir la gratuité des contenus de la RTBF sur Auvio, tout en définissant ce que l’on entend par gratuité. Ne peut-on imaginer que pour certains contenus de service public, le consommateur ne soit pas soumis à une utilisation de ses données personnelles[2] ? Ou bien que ses données personnelles ne soient pas exploitées et que la publicité soit supprimée ? A titre d’exemple, on pourrait imaginer que l’information issue de la RTBF ou de LN24 soit accessible sans nécessité de s’inscrire sur Auvio, sans recours à des cookies, sans traitement de données personnelles de l’utilisateur ni d’insertion de publicité (de manière cumulative ou non).

 

[1] « Les marchés bifaces (ou plus généralement multifaces) se définissent grossièrement comme des marchés dans lesquels une ou plusieurs plates-formes permettent des interactions entre utilisateurs finaux, et tentent d’obtenir l’adhésion des deux (ou multiples) parties en facturant chaque partie de manière appropriée. » (traduction libre d’après ROCHET, Jean/TIROLE,Jean, Two-sided markets: a progress report, in : RAND Journal of Economics, 2006, vol. 37, n° 3, pp. 645-667).

[2] Par exemple : les programmes d’Arte sont visibles via le site arte.tv sans obligation de création de compte ni utilisation de cookies, ceux de TV5Monde sans compte également, tout comme le direct sur VRTnu (mais pas le rattrapage ou l’exclusif qui demandent la création d’un compte). 

Autres questions

Le Collège d’autorisation et de contrôle du CSA plaide pour une réflexion de fond sur les implications possibles du développement d’Auvio sur le bon fonctionnement du marché des médias et le pluralisme. Il estime en effet important de garantir l’égalité de traitement des éditeurs partenaires de la RTBF (privés et publics) en matière de conditions d’accès de ceux-ci à la plateforme Auvio, y compris en ce qui concerne la tarification appliquée.

Par ailleurs, le Collège se demande si une obligation de séparation comptable à charge de la RTBF, pour les activités liées à la distribution sur la plateforme Auvio, ne pourrait constituer une mesure de transparence permettant d’évaluer l’apport de ces activités dans le financement de ses missions de service public et l’impact de ces mêmes activités sur le marché.