Etat des lieux en matière de programmes pour la "jeunesse"

Intention éditoriale et exposition des missions de service public

Contexte

Les objectifs en matière de programmes pour la jeunesse sont définis par le Contrat de gestion aux articles 35 (définition), 36 (objectifs généraux), 37 (objectifs en matière de programmes pour les enfants de 4 à 14 ans) et 38 (objectifs en matière de programmes pour les adolescents et jeunes adultes de 15 à 24 ans).

La jeunesse est donc divisée en deux catégories d’âge : les 4-14 ans et les 15-24 ans (le Contrat de gestion précédent distinguait le public « enfants » (de 4 à 12 ans) de celui des « adolescents » (de 12 à 18 ans)).

Parmi les objectifs inscrits à l’article 36, la RTBF doit diffuser : « …des programmes valorisant la participation et l’expression directe, pluraliste, individuelle et collective des jeunes de la Fédération Wallonie-Bruxelles, dans toute leur diversité … »

Bilan

Offre

Durant cette dernière décennie, la RTBF a construit progressivement deux labels, fournisseurs principaux des contenus « jeunesse » :

  • Depuis 2011, « OUFtivi » rassemble la programmation de la RTBF à destination des 4 à 12 ans. En télévision, le service est diffusé en partage de canal avec La Trois et occupe en continu la tranche 6h-20h la semaine comme le week-end. La programmation d’OUFtivi est aussi disponible en direct ou à la demande via le site internet de la RTBF.
  • Depuis 2017, le média numérique « Tarmac » rassemble une partie de l’offre jeunesse de la RTBF en s’adressant aux 15-25 ans. L’offre se décline à travers un site web, une radio diffusée sur le web et en DAB+, une application mobile, une chaîne Youtube, mais aussi via Facebook, Instagram, TikTok et Snapchat. Tarmac est principalement dédié au hip hop et à la culture urbaine mais dès ses débuts, le média s’est aussi donné une vocation sociétale, notamment en produisant tous les 2-3 jours la capsule IZI News qui traite de l’actualité, ou en abordant dans de nombreux contenus des thématiques telles que l’environnement ou la sexualité, sur un ton qui peut séduire d’autres publics jeunes que les seuls fans de culture hip hop.

L’offre pour les enfants (OUFtivi) est donc notamment disponible en télévision linéaire alors que l’offre pour les adolescents et jeunes adultes (Tarmac) est très majoritairement diffusée via Internet avec une forte présence sur les médias sociaux (seule exception, le flux audio Tarmac diffusé en DAB+).

Pendant de nombreuses années, les avis du Collège d’autorisation et de contrôle du CSA déploraient la pauvreté de la programmation spécifiquement destinée aux adolescents et l’absence de programmes valorisant la participation et l’expression directe des jeunes. Cependant, la création de Tarmac en 2017 a largement permis au CSA de revoir ces constats. En effet, depuis sa création, Tarmac a réussi à toucher un important public jeune comme en témoignent les chiffres ci-dessous :

En 2019:

(Source : https://www.lesoir.be/230209/article/2019-06-12/rtbf-ces-formats-qui-ont-cartonne-cette-saison) :
  • La chaîne Tarmac sur Youtube engrangeait à elle seule 20 millions de vues sur les 46 millions que comptabilisait la RTBF sur la plateforme ;
  • Une compétition d’eSport retransmise par Tarmac sur Twitch en direct a rassemblé 374.000 internautes, ce qui correspond à l’audience de l’Europa League cumulée sur La Deux/Tipik et Auvio ;
  • Des séquences « élections » conçues exclusivement pour une diffusion sur Internet ont été visionnées 169.000 fois sur la page FB de Tarmac.

En 2022 (le 14 mars 2022), l’offre Tarmac proposée sur ses quatre médias sociaux principaux totalise les scores suivants :

Source: CSA

Outre les données d’abonnement, les autres chiffres d’audience disponibles sur les différents canaux variant largement, il n’est malheureusement pas possible de les mettre en relation.

A titre de comparaison, il faut cependant noter que le compte générique RTBF.be actif depuis 2006 sur YouTube totalise environ 16 millions de vues et 82.200 abonnés et le compte Tipik actif depuis 2009 totalise quant à lui environ 14,3 millions de vues et 17.300 abonnés.

Source: CSA d’après Youtube

Par ailleurs, la RTBF développe également des initiatives digitales, hors du label Tarmac, vers les adolescents, en particulier les plus jeunes :

  • « Niouzz+[1]», une version des Niouzz sur Instagram proposant 3 à 4 stories par semaine et des quizz sur l’actualité.
  • « Spit[2]», construit autour d’un collectif de youtubeurs aborde des thématiques telles que la pop culture, la téléréalité, l’écologie, …
  • Des webséries produites ou coproduites par la RTBF agrégées sur Youtube sur le compte Tik Dog – RTBF[3] (et également disponibles sur Auvio).
  • « La Roue » proposé sur Twitch durant les confinements. L’émission en live était animée par un gamer connu. Sous le couvert du jeu et de l’humour, ce programme a visé l’expression des jeunes, notamment leurs ressentis face à la crise sanitaire.
  • « MAJ[4]» (pour mise à jour) sur Tik Tok propose de l’information vers le public des 12-15 ans, abordant des thématiques comme le gaming, la culture des réseaux sociaux, l’environnement, mais aussi l’actualité plus générale.
  • Enfin, en 2021, la RTBF a créé une plateforme de gaming, RTBF IXPé. Il s’agit d’un média transversal consacré aux jeux vidéo, à l’eSport et à la culture 2.0. Si le gaming touche différents publics de jeunes et de moins jeunes, il touche particulièrement de nombreux adolescent.es pour lesquel.es c’est un loisir fédérateur.

 Canaux de diffusion

Actuellement, l’offre visant les enfants est donc diffusée pour une part en télévision et pour une autre sur Internet.

L’offre spécifique visant les adolescents et les jeunes adultes est quant à elle uniquement diffusée sur Internet (certains contenus ne sont même disponibles que sur les médias sociaux et pas sur Auvio). Même si le succès rencontré par cette offre est variable, certaines propositions -notamment plus récentes- n’ayant pas encore totalement atteint leurs publics, le CSA a estimé dans ses avis 2018 et 2020 que cette partie de l’offre jeunesse rencontrait les conditions de l’article 20 du Contrat de gestion en ce sens qu’elle se justifie par une modification des besoins de consommation du public visé, que l’utilisation rationnelle des moyens est démontrée dans la mesure où la RTBF produit depuis 2017 bien plus de contenus spécifiquement destinés aux adolescent.es qu’auparavant et que cette offre a fait l’objet de campagnes de promotion. Au surplus, le public cible composé de « digital native » est à priori moins concerné par le problème de la fracture numérique.

 

Jeunesse: Conclusions et recommandations

 

Concernant les programmes destinés aux enfants :

  • Pour le régulateur, le maintien d’une programmation jeunesse sur le linéaire traditionnel semble nécessaire. En effet, même si la télévision connectée est de plus en plus présente dans les foyers, la consommation Internet, même des enfants, se fait beaucoup de façon individuelle via un PC, une tablette, voire un smartphone. En revanche, la TV qui occupe souvent une position centrale dans le foyer se consomme plus aisément à plusieurs, en famille, favorisant ainsi les échanges et le partage.
  • Considérant donc l’importance de ne pas favoriser une consommation individuelle dès le plus jeune âge, le CSA est d’avis qu’à côté d’une offre sur Internet, l’éditeur public poursuive sa programmation quotidienne vers les plus jeunes en journée sur un service linéaire TV exempt de publicité.

Concernant les programmes destinés aux adolescents et aux jeunes adultes :

  • Constatant qu’une majorité des adolescent.es privilégie la consommation des médias sur Internet plutôt que sur les médias traditionnels tout en considérant l’intérêt sociétal de la présence de l’éditeur public, de ses valeurs et de son expertise sur les réseaux sociaux et sur les plateformes de partage ; relevant encore que, de par leur format, les productions digitales ont l’avantage de favoriser naturellement « la participation et l’expression directe » (art. 36) des jeunes dans les contenus qui leurs sont destinés, le CSA valide le fait que la RTBF propose majoritairement ses contenus adressés spécifiquement aux adolescent.es et aux jeunes adultes de la FWB via les médias digitaux.
  • Cependant, proposer majoritairement les programmes pour adolescents sur le digital ne signifie toutefois pas que l’éditeur doive renoncer entièrement à des programmes pour les jeunes sur ses services linéaires plus propices au partage intergénérationnel. L’étude menée par le CSA en 2019 et 2020 sur les modes de consommation des services de médias audiovisuels en FWB, M.A.P. (Médias : Attitudes et Perceptions), relève que si le visionnage de vidéos en ligne est dominant chez les 15-19 ans qui, de plus, sont ceux qui utilisent le plus un équipement individuel pour consommer des médias, elle relève aussi que la télévision reste très populaire pour ce public qui souvent la regarde tout en consommant d’autres contenus sur smartphone ou PC[5].

 

[1] https://www.instagram.com/niouzzplus/
[2] https://www.youtube.com/c/SPIT_RTBF/about
[3] https://www.youtube.com/c/TikDogRTBF/about
[4] https://www.tiktok.com/@miseajour
[5] Voir notamment p. 91 à 112 de l’Etude MAP (https://www.csa.be/wp-content/uploads/MAP/CSA_Etude-MAP-WEB-HR.pdf).

 

 Conclusions générales et recommandations

Canaux et horaires de diffusion en linéaire

Concernant la question de l’exposition des missions de service public aux heures de grande écoute et réparties entre les canaux de diffusion linéaires, le CSA constate une exposition assez équilibrée notamment en matière d’information et d’éducation permanente. Sur la mission culturelle, le constat est un peu plus nuancé comme le montre notre développement ci-dessus.

En matière d’offre jeunesse, la question se pose différemment dès lors qu’il est acquis qu’une partie de cette offre n’est plus exposée sur le linéaire, conformément à cette possibilité prévue par l’article 20.

Même si les constats sont plutôt positifs, il apparait au régulateur que le maintien, voire le renforcement, du principe de transversalité et d’équilibre prévu à l’article 18 est indispensable.  

Diffusion sur Internet

Sur l’usage de la possibilité laissée à la RTBF de proposer la majorité des programmes linéaires relevant d’une de ses missions de service public sur Internet ou de faire basculer un de ses services de média audiovisuel dans sa totalité sur Internet, le CSA n’a pas relevé, au cours des contrôles des derniers exercices, de véritable glissement, hormis bien sûr, celui de l’offre ado/jeunes adultes. En effet, des programmes remplissant toutes les missions de contenus de service public sont encore présents sur le linéaire. Et pour cause, comme en témoignent nos constats en matière de culture notamment, le public ne semble (du moins pas encore) ni prêt, ni au rendez-vous.

Ceci étant, le Collège perçoit la complémentarité[1] des offres et l’intérêt de cette complémentarité entre le linéaire « traditionnel » et Internet.

Cependant, l’analyse de l’article 20, de la situation en 2022 et des enjeux à venir soulève les remarques et questions suivantes :

  • Parmi les conditions prévues à l’article, le Collège estime qu’il faudrait ajouter une référence claire à des données d’audience fiables et neutres permettant d’objectiver la pertinence du basculement du linéaire traditionnel vers Internet ;
  • Dans le même ordre d’idée, tout basculement devrait être justifié par une note d’intention de la RTBF indiquant la stratégie poursuivie pour atteindre ses publics où ils se trouvent, en conquérir de nouveaux, détaillant la campagne d’information / promotion prévue et la stratégie de passerelle invitant les publics à passer d’une offre à l’autre ;

En outre :   

  • Ne faudrait-il pas garantir, dans le futur Contrat de gestion, un minimum de programmes sur le linéaire traditionnel dans toutes les missions de service public ? Et ce y compris dans les programmes jeunes, notamment dans un objectif de cohésion et de partage intergénérationnel ?
  • Les conditions fixées par l’article 20 sont-elles suffisantes ? En tout état de cause, la procédure d’évaluation prévue par l’article 45 (nouveaux services importants/modifications substantielles de services existants) est inefficiente comme en témoigne notre analyse (voir page 15).
  • Comment la RTBF entend-elle garantir la suggestion, la découverte, la surprise hors diffusion linéaire ? D’autant que l’approche par publics mise en place en 2018 pourrait tendre plutôt à les segmenter. La question de la visibilité des missions de service public hors du linéaire est également posée dans la partie relative à Auvio (voir page 9). Elle est aussi liée à celle des algorithmes de recommandation (voir page 11).
  • Lorsqu’il s’agit de missions de service public, pouvons-nous attendre que les publics aillent chercher eux-mêmes des contenus sur des supports moins accessibles ?
  • Enfin, si l’évolution des besoins et de la consommation permet effectivement une migration importante des missions de service public sur Internet, il conviendra de se poser la question du maintien des canaux linéaires octroyés à l’éditeur public, du moins dans de telles proportions.

Pour terminer, il subsiste un doute sur le rôle du Collège d’autorisation et de contrôle du CSA quant à l’évaluation de la conformité par la RTBF des conditions prévues par l’article 20. Pour la clarté et l’efficacité, il conviendrait de confier cette mission de vérification au CSA, soit dans le cadre de son avis annuel, soit et ce serait plus cohérent, dans le cadre d’un avis qui serait demandé en amont de l’autorisation préalable du Gouvernement prévue au dernier paragraphe de l’article. Cette disposition serait d’ailleurs en phase avec l’avis demandé au Bureau du CSA dans le cadre de la procédure d’évaluation des nouveaux services importants/modifications substantielles de services existants (article 45).

 

[1] Voir notamment p.168 à 176 de l’Etude MAP.